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09/13/2020
Joseph Haydn : Sinfonia concertante en si bémol majeur, opus 84, Hob. I:105 [1]
Anton Bruckner : Symphonie n° 1 en ut mineur (version de Linz, 1877, édition Haas) [2]

Ray Still (hautbois), Willard Elliot (basson), Samuel Magad (violon), Frank Miller (violoncelle), Chicago Symphony Orchestra [1], Wiener Philharmoniker [2], Claudio Abbado (direction)
Enregistré en concert à Vienne (11 juin 1972) [2] et à Chicago (17 février 1980) [1] – 69’08
Dorémi «Legendary Treasures» DHR 8070 – Notice (en anglais) de Jack Silver





Anton Bruckner : Symphonies n° 1 en ut mineur (version de Vienne, 1891) [1] et n° 9 en ré mineur [2]
Orchestre du Festival de Lucerne, Claudio Abbado (direction)
Enregistré en public au Centre de la culture et des congrès de Lucerne (17-18 août 2012 [1] et 26 août 2013 [2]) – 113’25
Album de deux disques Accentus ACC30489 – Notice (en anglais, allemand et français) de Georg Rudiger





Anton Bruckner : Symphonie n° 1 en ut mineur (version de Vienne, 1891)
Philharmonie Festiva, Gerd Schaller (direction)
Enregistré en public dans la salle Max-Littmann du Regentenbau, Bad Kissingen (26 mai 2019) – 50’30
Profil Hänssler PH 19084 – Entretien avec Gerd Schaller et notice (en anglais et en allemand) d’Andrea Braun





On a parfois tendance à l’oublier mais, dans l’œuvre symphonique d’Anton Bruckner (1824-1896), deux symphonies ont porté le sobriquet «Das kecke Beserl («la petite effrontée»): la Sixième et la Première. Composée en 1865-1866, créée à Linz en mai 1868, très légèrement retouchée en 1877, cette dernière fut profondément remaniée en 1890-1891 par Bruckner lui-même, pour être créée à Vienne, en décembre 1891 sous la direction de Hans Richter. Voici donc d’où nous viennent les versions de Linz et de Vienne! Et voici donc le grand dilemme pour les chefs d’orchestre: quelle version privilégier? Si la version Linz de 1877 (dans l’édition Nowak) est choisie par Barenboim, Karajan, Jochum ou Ozawa, celle éditée par Robert Haas en 1935 est en revanche portée par Haitink ou Masur. Quant à la version révisée de 1891, elle a pour défenseurs Chailly ou Gielen.


Et Claudio Abbado me direz-vous? Eh bien voilà un cas quelque peu à part... Car si l’on connaît son célèbre enregistrement à la tête du Philharmonique de Vienne édité chez Decca en novembre 1969 (il choisit alors la version de Linz de 1877 dans l’édition Haas), c’est au contraire la version de Linz mais éditée par Nowak qui est celle de son enregistrement viennois de janvier 1996 (Deutsche Grammophon). Et pour ce qui devait être sa dernière interprétation de cette symphonie, à Lucerne, c’est cette fois-ci la version revisitée par Bruckner lui-même en 1891, éditée par Günter Brosche ! Etonnant de voir Abbado jongler ainsi avec ces diverses éditions, qui plus est pour un chef dont les affinités avec Bruckner ne sont pas établies au même titre que d’autres de ses confrères. Certes, nous avons en mémoire une incroyable Cinquième à la Salle Pleyel et le chef milanais nous a laissé au disque plusieurs beaux témoignages mais Bruckner était tout de même loin de figurer parmi ses compositeurs de prédilection.


L’édition de ces deux concerts est donc une très bonne occasion de revoir nos impressions. Revoir car ces représentations ont déjà eu les honneurs du disque, qu’il s’agisse de la version viennoise de 1972, enregistrée pendant les Wiener Festwochen, qui avait déjà connu une publication chez Melodiya, ou de la version suisse de 2012, qui avait été éditée à part (Accentus Music 30274).


Avouons d’emblée que la version de Linz nous semble nettement préférable à celle de 1891, plus alambiquée, moins cohérente aussi; comme l’écrit justement Paul-Gilbert Langevin, c’est cette version de 1877 «qui semble rendre meilleur justice aux primesautières audaces de cette étonnante partition» (Anton Bruckner, L’Age d’homme, 1977, p. 118). Pour autant, et la réécoute de l’enregistrement Decca le prouve, on est d’emblée surpris par cette version à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne: quel vivacité chez Abbado! Le premier mouvement est mené tambour battant. Manquant parfois de cohérence interne (les brusques accélérations, comme à partir de 2’40, précédant des tutti marqués plus par la pesanteur que par l’emphase, comme à 4’30 par exemple), il impressionne tout de même grâce à des cordes d’une belle ampleur (l’orchestre étant loin d’être parfait comme l’illustrent tout de même quelques scories chez les cors) et à une coda extrêmement prenante: dommage qu’Abbado ait choisi de la conclure dans une accélération étourdissante et non en maintenant le tempo initial... Les deux mouvements suivants sont vraiment très réussis. L’Adagio bénéficie ainsi d’un orchestre superlatif (le pupitre d’altos, le hautbois) même si l’enregistrement en concert, sans doute pas avec un placement idéal des micros et sans qu’un gros travail ait été effectué sur la bande, gomme une partie de la subtilité du jeu des Wiener Philharmoniker. Le Scherzo est également implacable à souhait, le Trio offrant une parenthèse presque bucolique comme souvent chez Bruckner. Quant au dernier mouvement, c’est peut-être le sommet de cette version. On y entend ainsi certains passages véritablement terrifiants (le tutti orchestral à partir de 4’21 jusqu’au climax de 4’48!), d’autres étant joués de façon à la fois fébrile et obsédante, le dernier accord étant accueilli par les applaudissements massifs du public.


Franchissons une partie des Alpes et transportons-nous maintenant sur les rives du lac Léman. L’écoute de l’Allegro de la Première Symphonie dans la version de 1890-1891 étonne de prime abord: les saillies des trompettes (à 3’14), les multiples changements de phrasés, de conception générale (à partir de 9’04) peuvent éventuellement désarçonner lorsqu’on écoute le plus souvent la version de 1877. Pour autant, on est pris! A commencer par l’orchestre, somptueux, irréprochable même, le jeu étant par ailleurs flatté cette fois-ci par une prise de son exceptionnelle qui nous permet de profiter pleinement de l’engagement des musiciens. Signalons dans ce premier mouvement le passage à partir de 10’33, dirigé par Abbado comme une sorte de course à l’abîme. L’Adagio est également magnifique grâce en premier lieu aux cordes, la fluidité orchestrale s’accompagnant d’une tenue exemplaire sans jamais faillir d’une quelconque baisse de tension. Si le Scherzo n’appelle aucune remarque particulière, on sera un rien déçu par le manque de mordant de certains passages et par une certaine lourdeur de temps à autre qui, certes, évite toute «grandiloquence» pour reprendre le mot de Claudio Poloni dans son compte rendu de ce concert, mais qui ne s’avère pas aussi convaincant que les trois premiers mouvements.


Alors, s’il fallait choisir une de ces deux versions Abbado, comment faire? Une solution peut consister à regarder les compléments. Abbado dans Haydn: voilà une fois encore un compositeur que l’on n’associe guère au chef italien en dépit du très bel accueil (à juste titre) qui avait été réservé au disque associant les Quatre-vingt-dix-huitième Symphonie et Centième Symphonie «Militaire» (Deutsche Grammophon). La Sinfonia concertante bénéficie ici des solistes de l’Orchestre symphonique de Chicago, illustres devanciers de Lucas Macías Navarro, Gregory Ahss, Konstantin Pfiz et Guilhaume Santana dans la version tardive qu’Abbado avait enregistrée avec son Orchestra Mozart (Claves). Dans cette version de Chicago, l’orchestre n’est pas toujours aussi alerte qu’on pourrait le souhaiter dans le premier mouvement et on entend quelques faiblesses chez les solistes (la justesse du violon dans les aigus et, surtout, du violoncelle à partir de 2’56 dans le troisième mouvement). C’est finalement le mouvement lent qui nous convainc le plus, grâce au jeu tout en finesse de Frank Miller et de Ray Still, l’ensemble des musiciens nous offrant tout de même une version quelque peu datée de ce petit chef-d’œuvre du classicisme viennois.


Tournons-nous alors vers Bruckner, une fois encore, mais la Neuvième cette fois-ci, également enregistrée lors du Festival de Lucerne en 2013. Le premier mouvement, Feierlich misterioso, est superbe grâce à un orchestre superlatif mais la conception d’Abbado tend souvent à faire du sur place. L’épure choisie par le chef milanais fonctionne très bien, à n’en pas douter, mais on perçoit de temps à autre un détachement excessif, la coda conclusive étant conduite avec une grande maîtrise mais sans être aussi prenante que sous d’autres baguettes (on pense à Karajan ou à Giulini par exemple). Le deuxième mouvement est excellent, même si l’on aurait pu souhaiter là encore plus de noirceur. En revanche, quel troisième mouvement! Sans faire de la psychologie de bas étage, ce que d’autres font très bien, Claudio Abbado percevait-il qu’il s’agissait là de son dernier Festival de Lucerne, lui qui est décédé en janvier 2014? Toujours est-il qu’on a rarement entendu ce mouvement joué de façon aussi poignante (Karajan dans son fantastique concert du 24 novembre 1985, vidéo Sony? Bernstein dans son enregistrement avec Vienne en février-mars 1990, Deutsche Grammophon?). Abbado, rompu à l’œuvre de Gustav Mahler, nous transporte ici dans une péroraison qui n’est pas sans rappeler le tout aussi miraculeux dernier mouvement de la Neuvième; aériennes comme jamais, les dernières notes s’envolent et, sans doute (nous n’y étions pas...), ont dû laisser le silence s’installer pendant 1 à 2 minutes avant l’ovation tant attendue.


On a déjà eu plusieurs fois l’occasion de parler dans ces colonnes des interprétations brucknériennes de Gerd Schaller et de sa Philharmonie Festiva (voir ici, ici, ici et ici). Le chef allemand nous donne là une autre interprétation de la Première Symphonie, ayant choisi comme Abbado à Lucerne la version revue par Bruckner lui-même en 1890-1891. Pour le coup, aucune hésitation à avoir: on privilégiera le chef italien! Schaller, que l’on a par ailleurs connu plus inspiré, dirige ici avec une lourdeur continuelle, le premier mouvement faisant ici 2 minutes de plus que chez Abbado. C’est fort dommage, car les premières pulsations des cordes sont extrêmement prenantes. Mais on s’étonne par ailleurs – problème de placement des micros, ou bien réverbération de la salle, l’enregistrement ayant été effectué en concert, sans les raccords possibles du studio? – de certains éclairages posés sur tel ou tel instrument: la clarinette à 1’25, les cors à 2’27... Tout cela gomme le grand arc brucknérien que l’on souhaite entendre et qui, en fin de compte, caricature quelque peu cette symphonie. Le deuxième mouvement est également moins bien conduit, avec moins de finesse qu’Abbado (les transitions sont beaucoup plus finement jouées à Lucerne). Le Scherzo est en revanche plutôt bien fait même si les cuivres ont quelque peu tendance à écraser un peu les sons. Le problème des éclairages spécifiquement mis sur un instrument ou un pupitre se retrouve dans le dernier mouvement (les clarinettes de nouveau, à 6’58): une franche déception dans une intégrale pourtant de bonne tenue.


Dès lors, qui choisir ? Claudio Abbado sans conteste mais dans quelle version? La version de 1890-1891 nous semble vraiment moins intéressante que celle de 1877 donc, et on s’excuse par avance pour ce choix quelque peu paradoxal (si l’on s’en tient au chef italien): Abbado dans la version de 1877 mais chez Deutsche Grammophon avec le Philharmonique de Vienne, magnifique version enregistrée en concert, au mois de janvier 1996.


Le site de l’Orchestre symphonique de Chicago
Le site du Festival et de l’Orchestre de Lucerne
Le site de Gerd Schaller
Le site de la Philharmonie Festiva


Sébastien Gauthier

 

 

 

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