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02/28/2020
«D’ombres»
Claude Ledoux : Surgir
Henri Dutilleux : Trois Préludes – Sonate

Elodie Vignon (piano)
Enregistré au Studio 1 de Flagey, Bruxelles (1er-3 novembre 2019) – 56’20
Cyprès CYP 4658 (distribué par Outhere) – Notice en français et en anglais de Claude Ledoux, préface d’Elodie Vignon


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Après un premier album consacré à Debussy, c’est avec une certaine logique qu’Elodie Vignon se tourne, pour un second, vers Henri Dutilleux (1916-2013), les univers des deux géants français ayant en commun «une puissance expressive et poétique» (Vignon) et, certainement, le goût du mystère de l’instant qu’ils créent au travers de sonorités raffinées, harmoniquement enrichies, et de résonances proches et lointaines, échos et miroirs. Elodie Vignon met à son programme les deux pièces principales que Dutilleux destinait au piano: la Sonate (1946-1948), officiellement son opus 1, et les Trois Préludes (1973/1977/1988), relativement moins souvent à l’affiche. En un hommage double et oblique, elle y adjoint une pièce commandée dans cette optique à Claude Ledoux (né en 1960), compositeur, et professeur au CRM de Mons et au CNSMD de Paris. Surgir (2019) est dédiée à Elodie Vignon, qui était la pianiste de la création le 14 février 2020.


Pianiste engagée d’une technique sûre, Elodie Vignon s’attaque à son programme avec une hauteur de vue qui met pleinement en valeur le caractère plutôt exceptionnel des trois œuvres. La plus ancienne, la Sonate de Dutilleux, vit intensément sous ses doigts sensibles et agiles. Elle capture et transmet l’esprit et l’âme des trois mouvements aux contrastes intérieurs qui exploitent différemment, et de manière nuancée, le chant, le murmure, l’élan, l’arabesque, la variation et la syncope, le troisième mouvement allant jusqu’aux carillons, aux martèlements et aux chaloupés brièvement swing. L’ambitus est généreux mais la prédominance de l’aigu sied bien au toucher perlé, léger mais ferme et sonore, de l’interprète qui contrôle les résonances et fait subtilement ressortir le grand thème récurrent, à chaque fois «nouveau».


Ecrits à des moments différents, dédiés aux pianistes de leur création (Rubinstein, Helffer, Istomin) et rassemblés seulement en 1994, les Trois Préludes se suivent et se complémentent avec une logique intérieure qui relève d’éléments spécifiques nettement de la touche du compositeur. Elodie Vignon y déploie toute l’intelligence musicale nécessaire, s’adaptant avec souplesse aux exigences techniques et expressives de chacun. Le premier, «D’ombre et de silence», «nimbé de longues harmoniques» (Dutilleux), couvre d’ombre le registre grave et inonde l’aigu d’une lumière douce qui soudain s’anime en scintillements ou fuse en éclairs, jetant leurs propres ombres. Les résonances dans les deux registres remplissent les silences avant de s’y éteindre. «Sur un même accord», le deuxième, est une étude de timbres qui se fonde sur un accord pivot annoncé d’entrée, dont les quatre notes se soumettent avec bonheur à de nombreuses métamorphoses, rythmiques et polyphoniques, qui passent de l’accalmie à l’éclat. Les subtilités harmoniques du dernier Prélude, «Jeu de contrastes», naissent d’une apparente rivalité entre les deux mains. La composition fait qu’elles s’attirent ou se fuient sur toute l’étendue du clavier, constamment écho, miroir ou repoussoir l’une pour l’autre. C’est un jeu diabolique qui demande puissance, audace et une grande virtuosité digitale. Elodie Vignon y pourvoit.


Les deux volets de Surgir de Claude Ledoux jaillissent du silence pour in fine s’y perdre. Ils se fondent sur un même matériau en perpétuel devenir: le premier lui impose le mouvement, le second, d’abord plus calme, en crée un sentiment d’espace jusque dans l’effervescence à venir et le silence final. Si une note était une goutte d’eau, la première partie irait de la goutte isolée, impitoyable, aux gouttes qui tambourinent, aux éclaboussures, au chant des jeux d’eau, aux ruissellements des rus et à la rage des torrents. Si la note était une voix, la seconde partie deviendrait murmure, chuchotement, rumeur, éloquence volubile et éclat. Au cours des deux, les événements s’empilent ou se clarifient à la verticale, s’affirment ou se distillent à l’horizontale. Le style général se trouve au point de fusion entre Debussy, Dutilleux et Claude Ledoux avec son propre désir «d’altérités, de porosités culturelles et de résonances croisés». La force expressive et l’agilité digitale d’Elodie Vignon convient tout à fait aux aspects fluides et fluctuants de cette écriture en constante germination, à ses densités et à ses transparences aux échos cristallins.


La pianiste française compose son beau programme comme pour un concert, une composition contemporaine en tête et l’œuvre la plus développée en conclusion, la plus complexe entre les deux: Surgir, Préludes, Sonate. L’équilibre est atteint tout comme le possible dialogue qu’elle souhaitait entre Ledoux et Dutilleux, qui ne s’établit que de mémoire à l’écoute de Surgir avant une écoute des pièces de Dutilleux qui invite à la réflexion. Le programme est d’autant plus heureux que la pièce, encore inédite, de Ledoux vaut largement la peine que l’on y prête attention et que, de surcroît, Elodie Vignon livre une très belle interprétation de la Sonate, interprétation à classer très haut parmi les nombreuses versions encore disponibles.


Le site de Claude Ledoux
Le site d’Elodie Vignon


Christine Labroche

 

 

 

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