About us / Contact

The Classical Music Network

CD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

10/21/2018
Arnold Schoenberg : Gurrelieder – Verklärte Nacht, opus 4 (*)
Daniel Kirch (Waldemar), Jennifer Wilson (Tove), Daniela Denschlag (Waldtaube), Alexander Tsymbalyuk (Bauer), Niklas Björling Rygert (Klaus-Narr), Italy Tiran (Sprecher), Prazský filharmonický sbor, Lukás Vasilek (chef de chœur), Chœur israélien Gary Bertini, Ronen Borshevsky (chef de chœur), Orchestre philharmonique d’Israël, Zubin Mehta (direction)
Enregistré en public à Tel Aviv (avril 2006 [*] et juillet 2011) – 131’39
Coffret de deux disques Helicon Classics 02-9658


Must de ConcertoNet





Il y a quelques années, on murmurait, dans les couloirs du Conservatoire, que les Gurrelieder de Schoenberg étaient le plus bel opéra de Wagner... Reconnaissons, au-delà du bon mot, que l’on se trouve, avec cette œuvre magistrale et magnifique, face à une énigme, et cela mérite quelques éclaircissements.


Le parcours d’Arnold Schoenberg est passionnant. Loin de renier son admiration pour la musique de Richard Wagner (mais pas pour le personnage ), il va faire évoluer et éclater le langage musical issu des siècles précédents, passer de l’esthétique romantique débordante et spectaculaire à la sobriété intellectuelle de pièces de dimensions réduites et resserrées. Il sera suivi, dans sa démarche, par Alban Berg et Anton Webern, formant ce que l’on a appelé l’Ecole de Vienne, et dont les éléments de leur nouveau langage, le dodécaphonisme, n’auront plus de points communs avec la musique tonale qui, de l’avis de certains compositeurs, est à bout de souffle en ce début de XXe siècle. L’Histoire nous prouvera, quelques décennies plus tard que cet «Ancien Monde» n’était pas encore obsolète, loin de là.


Cependant, ce mouvement pour une musique nouvelle est en marche, et Schoenberg, avant d’y accéder, va faire exploser le gigantisme wagnérien, dépasser les limites du Maître de Bayreuth, élargir spectaculairement les formations orchestrales et chorales, en composant les Gurrelieder, qui sont un chef-d’œuvre absolu.


Mais que sont ces Gurrelieder? C’est tout à la fois un opéra, un poème symphonique avec voix, une symphonie dramatique, un cycle de lieder pour orchestre, mais c’est surtout un voyage unique dans l’univers si proche de Wagner – on y retrouve les harmonies de Tristan et Isolde, Tannhäuser, Le Crépuscule des dieux, Lohengrin – et pourtant bien personnel d’un Schoenberg très inspiré. On pense aussi au Chant de la terre de Mahler, à la fois dans le fond et la forme.


Cette œuvre, et c’est bien normal, fascine l’auditeur autant que les interprètes à chaque exécution. D’ailleurs, la plupart des grands chefs d’orchestre ont inscrit ou ont rêvé d’inscrire à leur répertoire ces Gurrelieder. C’est le cas de Zubin Mehta, l’un des plus grands chefs actuels, dont on ne compte plus les concerts, représentations lyriques, enregistrements discographiques mémorables, à la tête des orchestres les plus prestigieux. Il aime cette œuvre, la connaît jusqu’au moindre demi-soupir, et la défend avec une maîtrise impressionnante. Qui plus est, cet enregistrement a été réalisé en direct, ce qui rend la performance encore plus éblouissante.


Dès le prélude orchestral, on ressent une force expressive et chatoyante, une couleur à la fois opulente et noble, mais aussi une clarté dans les timbres et un merveilleux équilibre, un vrai «son» plein et tout simplement beau! Le voyage commence alors, et Zubin Mehta tiendra le cap jusqu’à la dernière note en «jouant» avec l’Orchestre philharmonique d’Israël, dont chaque pupitre est un enchantement. C’est miraculeux, merveilleusement équilibré, on entend tout, et la partition pourtant touffue, voire ardue à certains moments, est défendue avec une passion juvénile et naturelle, comme c’est le cas si souvent avec cet immense chef.


Les solistes ont visiblement été choisis, parmi les grands interprètes de cette musique, pour leur couleur vocale. Nos héros Waldemar et Tove, alias Daniel Kirch et Jennifer Wilson, sont dans la lignée des grands chanteurs wagnériens tels que Wolfgang Windgassen et Birgit Nilsson. Daniel Kirch a une voix large que l’on peut trouver limitée dans certains aigus, mais avec une puissance, une vaillance, une présence impressionnantes. Jennifer Wilson possède des attaques hors du commun, une force expressive et dramatique sans faille, et obtient des couleurs et des nuances étonnantes. Alexander Tsymbalyuk est une basse magnifique, à la voix chaude et généreuse. Niklas Björling Rygert, l’autre ténor de la distribution, est plus léger, plus espiègle. On pense en l’écoutant à David dans Les Maîtres Chanteurs ou encore à Mime dans Siegfried. La belle mezzo-soprano Daniela Denschlag vient compléter brillamment cette superbe distribution. Enfin, le «récitant» est assuré par Italy Tiran. C’est à lui que revient le redoutable exploit de «parler en chantant», le fameux Sprechgesang qui sera l’une des spécialités de Schoenberg dans ses compositions futures. Italy Tiran fait un travail remarquable dans ce rôle si particulier et périlleux. C’est lui qui nous guide vers le chœur final, gigantesque et incandescent


Le Chœur Philharmonique de Prague et le Chœur israélien Gary Bertini participent à la réussite de ce concert, leur prestation est de très haute qualité avec, en particulier, une remarquable homogénéité pour les trois chœurs d’hommes et un éclat éblouissant dans le gigantesque chœur mixte qui conclut cette œuvre si particulière.


Enfin, on sait à quel point il est difficile, parfois, de ne pas noyer» les chanteurs dans le flux sonore de l’orchestre. Ici, c’est non seulement un devoir, mais c’est une prouesse! Et pourtant, là encore, Zubin Mehta, d’un bout à l’autre de la partition, arrive à conserver un équilibre parfait, tout en contenant l’orchestre sans jamais le brider, insufflant une fougue communicative et jubilatoire, ce qui fait de lui l’un des plus grands interprètes de ces Gurrelieder.


Ce coffret de deux disques comprend aussi La Nuit transfigurée pour cordes, souvent donnée au concert, et qui vient, tout naturellement, compléter la période «romantique» du compositeur. C’est l’occasion d’observer la façon dont Zubin Mehta, avec les cordes splendides de ce bel orchestre, sait faire ressortir autant de couleurs différentes dans cette musique au bord de l’excès émotionnel.


En fait, à l’écoute de ce beau coffret, on assiste, en quelque sorte, à une fin de règne, celui de la musique ultra-romantique, avant que ne surviennent les grands bouleversements incarnés, notamment, par l’Ecole de Vienne. Le XXe siècle est là, avec ses péripéties de toute nature.


Dominique Debart

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com