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09/15/2018

Les trois collections de l’éditeur Notes de nuit, qui fêtera ses dix ans l’année prochaine, tournent autour de la Shoah. «La Beauté du geste», dirigée par Georges Zeisel, s’attache ainsi à des chefs ou des musiciens que le nazisme et le fascisme poussèrent à s’exiler. Les quatre premiers livres nous retracent les itinéraires d’Otto Klemperer, de Fritz Busch et d’Arturo Toscanini.


Eva Weissweiler : Otto Klemperer, Les années allemandes
Notes de nuit – 332 pages – 23 euros


Must de ConcertoNet





Pour Otto Klemperer, juif converti qui reviendra à la fin à la foi de ses pères, l’exil allait de soi après une houleuse représentation de Tannhaüser en février 1933 à l’Opéra de Berlin. Il venait d’être chassé de la Krolloper, où il avait renouvelé le répertoire et la mise en scène. Celui qu’on connaît comme un commandeur de la tradition, surtout à travers les enregistrements du Philharmonia auquel il imposait des tempos assez amples, fut en effet l’un des chefs les plus modernes de son temps, par son approche sans concession des œuvres et son combat en faveur de la musique contemporaine. Quitte à hérisser le public et une partie de la critique en dirigeant Janácek, Hindemith ou Stravinski – la musique de celui-ci provoqua un tel scandale le 23 octobre 1928 qu’il fallut appeler la police. Ce sont ces «années allemandes» que ressuscite le livre d’Eva Weissweiler, allant au-delà dans le dernier chapitre, où l’on suit le chef en Amérique, à Budapest, à Londres et Zurich, où il mourut en 1973, à 88 ans. Un complément précieux et passionnant couronne l’ensemble: des témoignages ou des correspondances, pas seulement avec des musiciens – une grande amitié le liait au philosophe Ernest Bloch. La biographie s’inscrit dans la peinture d’une Allemagne impériale qui ne se remettra pas de l’effondrement de 1918, ne se retrouvera pas à travers la République de Weimar et tombera presque naturellement dans les bras de Hitler. Une biographie sans concession aussi sur l’homme lui-même, ses accès de violence, ses troubles bipolaires, ses séjours en clinique.


Fritz Busch : Une vie de musicien
Notes de nuit – 219 pages – 20 euros


Must de ConcertoNet





L’exil, l’aryen Fritz Busch le choisit, lui que Göring aurait voulu amener à Berlin: il aurait incarné le chef allemand tel que le rêvait un régime qui aurait volontiers annexé aussi son frère Adolf, le violoniste. Mais il était, comme lui, intraitable: après un Rigoletto que les SA l’empêchèrent de diriger en mars 1933, sa décision était prise. A Dresde, où il avait créé Intermezzo et Hélène l’Egyptienne de Strauss, s’achevait ainsi une carrière dont des Mémoires intitulés Une vie de musicien retrace les étapes, remontant à l’enfance et aux études au Conservatoire de Cologne, en passant par une guerre dont l’engagé volontaire voit vite l’inutile cruauté. Lui aussi défendit, à l’instar de Klemperer, les compositeurs de son temps, de toute tendance – le Palestrina nostalgique de Pfitzner, les iconoclastes opéras en un acte de Hindemith ou l’Arlecchino de Busoni. Mais s’il avait une prédilection pour Reger et vouait un culte à Bach, il imposa aussi de grands opéras de Verdi, dont il s’éprit après l’avoir négligé. Dresde atteint, sous sa direction, un niveau exceptionnel, notamment parce qu’il réussit à réunir une troupe triée sur le volet. Travailleur infatigable, il se montrait aussi exigeant pour lui-même que pour les musiciens et les chanteurs: réinvité à Bayreuth après de très remarqués Maîtres Chanteurs en 1924, conscient qu’on lui refuserait les changements de distribution demandés, il déclina l’invitation. A travers ces Mémoires, toute une époque revit, avec ses soubresauts, ses accalmies ou ses convulsions.


Fabian Gastellier : Fritz Busch, L’exil: 1933-1951
Notes de nuit – 299 pages – 20 euros


Must de ConcertoNet





Les Mémoires s’arrêtent en 1933. La suite, c’est Fabian Gastellier qui nous la conte, après vingt ans de patientes et passionnées recherches qui lui ont valu un très mérité Prix de l’Association professionnelle de la critique. Voici le Busch de Glyndebourne, fondé avec le mécène milliardaire John Christie et le metteur en scène Carl Ebert, exilé comme lui, qu’ont immortalisé de légendaires gravures mozartiennes. Voici également Busch dirigeant au Colón de Buenos Aires, où il révèle la Messe en si de Bach à un public fasciné, s’attachant à l’Orchestre de la radio danoise et à la Scandinavie en général, repoussant les nouvelles avances de Göring. Vient ensuite l’exil américain, pour lui qui avait refusé New York après le départ de Toscanini, une expérience difficile malgré ses succès, notamment à la New Opera Company: il était trop ancré dans la vieille Europe et inadapté au système américain de la concurrence, plus à l’aise au Colón finalement, où il dirige toujours jusqu’à ce que le gouvernement Perón accueille à bras trop ouverts les nazis en fuite. Il refusera pourtant toutes les offres venues d’Allemagne, à commencer par celle de Konrad Adenauer, ne retournant même pas à Dresde en 1948 pour les quatre cents ans de la Staatskapelle. La victoire sur la barbarie ne peut ni effacer des années d’horreur et de honte ni restaurer la culture allemande telle qu’elle était avant. Il reprend ses marques à Glyndebourne et à Copenhague, mais meurt en 1951, à 61 ans. Fabian Gastellier nous rappelle tout cela avec une précision d’archiviste et une plume d’historien, nous peignant à la fois un artiste et un homme, une famille aussi – remarquable analyse de la relation avec Adolf –, meurtris et déracinés parce qu’ils n’avaient pas voulu perdre leur âme.


Harvey Sachs : Réflexions sur Toscanini. Musique et politique
Notes de nuit – 239 pages – 22 euros


Must de ConcertoNet





Comme pour Busch, l’exil, pour Arturo Toscanini, fut un choix. Harvey Sachs l’avait montré dans sa monumentale biographie de référence, récemment remise à jour. La découverte de nouvelles archives, dont les cinq cents pages du dossier de la police mussolinienne, l’a conduit à la compléter par des «réflexions» sur les relations que le maestro entretenait avec la musique et la politique. Ce fut, jusqu’en 1938, date de son départ d’Italie, un résistant de l’intérieur, qui ne cacha jamais, loin de là, son hostilité viscérale au régime et au Duce – il faillit, pour cela, être lynché en 1931. La rupture, même douloureuse, avec Bayreuth et Salzbourg, où il eût pu être roi, allait aussi de soi. Mais le livre aborde également la question de la politique artistique, à travers les mandats de Toscanini à Turin et à Milan, où il impose aux édiles et aux mécènes une certaine idée de la musique, fondée sur des exigences dont la péninsule n’avait guère l’habitude, en matière de répertoire, d’interprétation ou d’administration – il décida à Turin la création d’une vraie fosse d’orchestre. Les chapitres «Regarder Tocanini» et «Ecouter Toscanini» ne sont pas moins précieux: Sachs y analyse en détail, notamment grâce à une comparaison avec d’autres chefs de son temps dans la Septième Symphonie de Beethoven, la technique de direction du chef italien. Une façon de boucler la boucle: le premier chapitre, quelque peu polémique, tord le cou à quelques idées répandues par certains critiques et l’oppose aux «singeries» d’un Karajan ou d’un Bernstein, qui font figure d’anti-modèles.


Didier van Moere

 

 

 

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