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07/07/2017
Bruno Serrou : Entretiens de Pierre Boulez – 1983-2013
Editions Aedam Musicae AEM-172 – 269 pages – 22 euros


Sélectionné par la rédaction





D’Antoine Goléa (Rencontres avec Pierre Boulez, Julliard, 1959) à Véronique Puchala (A voix nue, Symétrie, 2008), en passant par Jean Vermeil (Conversations de Pierre Boulez, Plume, 1989) et Cécile Gilly (L’Ecriture du geste, Christian Bourgois, 2002), les ouvrages déclinés en conversations avec Pierre Boulez (1925-2016) ne manquent pas. Pour résumer, disons que celui-ci prend place entre les Entretiens avec Michel Archimbaud (Folio essais, 2016), destinés à ceux qui ne connaîtraient rien de Pierre Boulez, et les plus pointus Eclats (entretiens avec Claude Samuel, Mémoire du Livre, 2002) et Par volonté et par hasard (entretiens avec Célestin Deliège, Le Seuil, 1975), réservés quant à eux au mélomane averti.


Voici réunie l’intégralité des entretiens conduits par Bruno Serrou sur trois décennies. Si les différents supports dans lesquels s’exprime notre confrère (le quotidien La Croix, Radio Notre Dame, le magazine espagnol Scherzo) et les questions récurrentes occasionnent quelques redites, cela permet de saisir la permanence d’une pensée – certainement l’une des plus lumineuses qui soit. D’autant que Bruno Serrou est parvenu à trouver le juste équilibre entre l’oralité propre à la conversation et sa mise par écrit: Pierre Boulez apparaît tel qu’en lui-même, avec sa faculté de laisser son interlocuteur plus intelligent qu’il ne l’a trouvé, son goût pour la polémique («... Moi, j’aime la bagarre, à condition d’avoir un adversaire à ma hauteur»), son sens de la formule rebelle et prophétique («Mais l’on doit toujours avoir une attitude critique, surtout à vingt ans») et ses flèches assassines (René Leibowitz, Marcel Landowski et quelques autres en ont fait les frais). Philippe Hurel, dans sa belle préface, voit en lui un «roi de la métaphore». Il est vrai que le compositeur du très mallarméen Livre pour quatuor, le professeur au prestigieux Collège de France, l’auteur précoce d’une pénétrante étude rythmique du Sacre du printemps, était aussi capable de s’exprimer avec simplicité et même poésie. Dans son Domaine musical (Fayard, 1992), Jésus Aguila rappelle qu’une fois appelé à diriger les plus grands orchestres du monde, Boulez n’avait de cesse, à distance, que d’enjoindre les compositeurs programmés aux Concerts du Domaine Musical de signer des textes intelligibles au plus grand nombre.


L’on sait gré à Bruno Serrou, malgré le climat de confiance instauré avec cette personnalité pour le moins intimidante, de ne pas éluder les sujets qui fâchent: Boulez se voit tisonné sur l’appétit budgétaire de l’Ircam, la difficulté que rencontre la musique contemporaine à intégrer le grand répertoire, la place grandissante prise par la direction d’orchestre et la gestion d’institutions aux dépens de son activité de compositeur, le serpent de mer que constitue son projet d’opéra (Jean Genet puis Heiner Müller ayant été pressentis pour le livret), la place dévolue dans sa discographie aux grandes phalanges internationales au détriment des orchestres français... Naturellement, le maître a réponse à tout, et il appartient à chacun de faire la part des choses entre ce qui relève de son intelligence suraiguë, de son humour, de sa chafouinerie... voire de sa mauvaise foi. C’est toutefois sur une note foncièrement pessimiste et désenchantée que se referme l’ultime entretien de 2013.


Contextualisé en quelques phrases liminaires, chaque dialogue bénéficie en outre d’éclaircissements ponctuels (sous forme de notes de bas de page) remarquablement proportionnés – quand d’autres se sentent obligés, à l’heure de l’internet où tout peut se vérifier en quelques clics, d’expliciter le moindre nom propre. Une petite coquille s’est glissée page 181: les Leçons de musique données au Collège de France n’ont pas été éditées par Fayard mais par Christian Bourgois; gageons que le wagnérien patenté qu’est Bruno Serrou n’en voudra pas à Beckmesser d’avoir brandi une fois son marteau, surtout si c’est pour saluer le travail éditorial accompli par cet éditeur autour de la musique contemporaine en général, et du compositeur du Marteau sans maître en particulier...


Jérémie Bigorie

 

 

 

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