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12/19/2016 Béla Bartók : Danses populaires roumaines, Sz. 56 – Quatorze Bagatelles, Sz. 38 – Allegro barbaro, Sz. 49 – Huit Improvisations sur des chansons paysannes hongroises, Sz. 74 – Mikrokosmos, Sz. 107: Livre V Cédric Tiberghien (piano)
Enregistré au Henry Wood Hall, Londres (1er-3 mars 2015) – 73’39
Hyperion CDA68133 (distribué par Distrart) – Excellente notice (en anglais, français et allemand)
Sélectionné par la rédaction
«Si les Quatuors à cordes de Bartók représentent la plus haute perfection de son art, l’ensemble de son œuvre pour piano solo, malgré sa nature kaléidoscopique, traduit la manifestation la plus directe de sa personnalité», précise le musicologue László Somfai. Pour son troisième disque consacré au compositeur hongrois, Cédric Tiberghien associe le Cinquième Livre des Mikrokosmos à d’autres miniatures... par la durée, mais non par l’intensité!
On a trop souvent vu dans les Quatuors une sorte de laboratoire expérimental; or c’est principalement au piano, instrument pour lequel il compose sans relâche jusqu’à l’Allegro barbaro (1911), que Bartók tente de nouvelles expériences et autour duquel s’articulent les grands tournants stylistiques de sa carrière. En témoigne le cycle des Bagatelles (1908), qui s’affranchit du romantisme et de l’harmonie tonale. Elles inaugurent, dans leur goût de l’expérimentation mis en œuvre dans des formes brèves, toute une série de pièces aphoristiques à venir dans la décennie suivante chez d’autres compositeurs, tels Schoenberg (Pièces opus 19) ou Prokofiev (Visions fugitives, Sarcasmes). Le geste de l’improvisation, la nervosité des rythmes, le recours à la polytonalité, l’humour, la présence de thèmes populaires, les ostinatos: autant de caractéristiques superbement restituées par Cédric Tiberghien. Si l’on n’y trouvera pas le côté abrasif du regretté Zoltán Kocsis (Philips), davantage recréateur qu’interprète, le pianiste français s’impose par la fluidité et la haute probité de son jeu.
On aime sa faculté à faire «parler» la musique – on songe à Janácek – dans les Danses populaires roumaines, baignées dans un halo sonore (plage 3) du plus poétique effet. Avec ses 3’13, l’emblématique Allegro barbaro constitue la plage la plus longue du disque, et sans doute la plus mémorable: une étonnante souplesse des poignets (au moins autant sollicités que les doigts) rend justice aux différentes combinaisons rythmiques.
Dans Mikrokosmos comme dans les fascinantes Improvisations, Cédric Tiberghien, tel un caméléon se promenant sur un arlequin, parvient à capter aussitôt l’attention grâce à un touché adapté à chaque miniature, des thèmes populaires pentatoniques d’un optimise conquérant aux mélopées orientalisantes aux relents nostalgiques. Généreuse en velours, la patte de l’interprète gagnerait, par endroits, à sortir davantage les griffes, mais la pénultième Improvisation – une sorte de tombeau pour Claude Debussy – enchante par son étagement des timbres. Soulignons pour finir la qualité de la prise de son.
Jérémie Bigorie
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