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03/06/2016
Marie Jaëll : La Légende des ours [1] – Concerto pour violoncelle en fa majeur [2] – Les Beaux Jours [3] – Concertos pour piano n° 1 en ré mineur [4] et n° 2 en ut mineur [5] – Douze Valses et Finale [6] – Pièces pour piano (extraits): I. «Ce que l’on entend dans l’Enfer», II. «Ce que l’on entend dans le Purgatoire» & III. «Ce que l’on entend dans le Paradis» [7] – Les Jours pluvieux [8]
Chantal Santon-Jeffery (soprano), Xavier Phillips (violoncelle), David Bismuth [7], Lidija et Sanja Bizjak [6], Dana Ciocarlie [3], Romain Descharmes [4], Nicolas Stavy [8], David Violi [4] (piano), Orchestre national de Lille, Joseph Swensen (direction) [4, 5], Brussels Philharmonic, Hervé Niquet (direction) [2]
Enregistré à Faches-Thumesnil (4-7 septembre 2012 [4, 5]), Venise (8 mars [6], 11 octobre [7] 2014, 6 mars [8], 14 septembre [3] 2015) et Bruxelles (1er-3 juillet 2015 [1, 2]) – 172’45
Livre et trois disques bilingue Ediciones Singulares/Palazzetto Bru Zane collection «Portraits» ES 1022 (distribué par Outhere) – Textes d’accompagnement en français de Marie-Laure Ingelaere [#], Marie Jaëll [#], Florence Launay [#], Alain Ramaut [§], Sébastien Troester [§] (traduits en anglais par Sue Rose [§] et Mark Wiggins [#]) et poèmes [§] de Marie Jaëll inclus (136 pages)


 Sélectionné par la rédaction





Née Trautmann dans une famille aisée en Alsace, Marie Jaëll (1846-1925), femme d’exception aux talents et à la force de caractère reconnus, réunissait tous les atouts nécessaires pour transcender le sort souvent réservé aux femmes de son époque et suivre des études musicales poussées, y compris en composition, avant de mener de front une carrière de pianiste virtuose, de compositrice et de pédagogue. Elle épousa le pianiste autrichien Alfred Jaëll dès l’âge de vingt ans et eut la grande chance que celui-ci encourageât sans réticence sa carrière professionnelle. Marie Jaëll comptait parmi ses mentors et amis Camille Saint-Saëns, César Franck et Edouard Schuré et bénéficia pendant de longues années de leur soutien. Cependant, créées avec succès à une époque charnière avant le modernisme prophétique d’un Debussy ou d’un Ravel, ses œuvres, inventives, personnelles mais encore romantiques, restent dans l’ombre aujourd’hui. L’initiative du Palazzetto Bru Zane, qui a comme vocation de «favoriser la redécouverte du patrimoine musical français du grand XIXe siècle» et qui, après Théodore Gouvy et Théodore Dubois, lui consacre le troisième volume de sa collection «Portraits», en est d’autant plus à saluer.


Marie Jaëll laisse un catalogue de près de quatre-vingts pièces, le piano dominant avec ou sans voix ou orchestre. A l’écoute de l’ensemble des pièces proposées l’ampleur, la vigueur, l’intensité et les couleurs fortes ou délicates de son écriture frappent aussitôt. Le Premier Concerto pour piano (1877), romantique dans l’esprit d’un Schumann, aéré et mélodique dans celui d’un Saint-Saëns à qui il est dédié, aurait sa place à l’affiche aujourd’hui. Son ardent défenseur Romain Descharmes le trouve «très démonstratif, très lisztien, avec beaucoup de gammes, d’arpèges, d’octaves» qui créent pour le soliste «une partie très brillante». Le Second (1884), fermement structuré, plus personnel, plus sombre et sans doute plus original grâce à une orchestration finement recherchée, se charge d’une puissante émotion contenue et déferle en un élan ininterrompu sans doute plus lisztien encore, David Violi et Joseph Swensen pleinement investis. Les quatre mouvements enchaînés exigent une virtuosité à toute épreuve. Admirablement bien défendu par Hervé Niquet et Xavier Phillips, lumineusement virtuose, le beau et lyrique Concerto pour violoncelle (1882) remet infailliblement en mémoire ceux de Dvorák et d’Elgar pourtant plus tardifs. La quatrième œuvre proposée avec orchestre est la curieuse Légende des ours (1877-1878), «chants humoristiques» sur un poème de la compositrice elle-même qui narre avec un humour un peu grinçant les aventures d’un ourson et de son oursonne. Au cours des six volets, le récit échoit à la soprano, l’illustration à l’orchestre mais l’auditeur sera surtout sensible aux couleurs sonores, fines ou... plantigrades, qui éclatent, s’imposent et s’irisent à l’envi.


La prouesse pianistique de Jaëll se révèle en quatre pièces également, le duo de 1874, les autres de 1894. Les sœurs Lidija et Sanja Bizjak interprètent avec beaucoup de verve et de grâce les Douze Valses et Finale, effervescents et expressifs mais sans doute moins personnels que les pièces à venir. Interprétée dès 1876 par Saint-Saëns et Liszt côte à côte, «ce charmant bijou» lui valut, cependant, les «sincères louanges» du maître de Weimar. Elle dédia à ses élèves compétents Les Beaux jours et Les Jours pluvieux, deux cahiers de chacun douze miniatures à titres évocateurs proches d’un impressionnisme de bon aloi. C’est avec beaucoup d’adresse et de sensibilité que Dana Ciocarlie et Nicolas Stavy en font ressortir les délicieuses ambiguïtés harmoniques et les climats solaires, ruisselants, houleux ou poétiques. David Bismuth interprète avec passion neuf des dix-huit Pièces magistrales, inspirées de Dante et réparties en trois livres d’une hardiesse étonnante, qui évoquent l’acheminement de l’âme de l’enfer vers le purgatoire et le paradis. Une voix originale s’élève en un discours musical d’une invention harmonique, mélodique et technique d’une impressionnante richesse.


L’édition du livre, esthétiquement très soignée, joue sur les qualités du papier et les couleurs et bénéficie d’une iconographie fournie. Il comporte quatre textes d’accompagnement et deux extraits des écrits de Marie Jaëll. Le premier texte la présente, le suivant traite de son besoin absolu de composer et de son œuvre, le troisième la révèle humainement au travers d’échanges épistolaires, avec parmi ses correspondants des membres de sa famille, des musiciens, scientifiques et hommes de lettres. Le dernier texte met en parallèle des compositrices du XIXe siècle qui, comme elle, ont frappé les esprits de leur vivant, obtenant la création de leurs œuvres mais qui, une fois disparues, n’ont laissée que des traces discrètes dans l’histoire à dominante masculine de la musique: Clémence de Grandval et Augusta Holmes en premier lieu mais aussi Louise Farrenc, Cécile Chaminade et Mel Bonis. Marie Jaëll se consacra fructueusement à la composition entre 1870 et 1894. Ensuite vinrent ses écrits, fruits de réflexions menées sa vie durant, avec comme catalyseur le jeu de Liszt qu’elle entendit pour la première fois en 1868. Les deux extraits proposés laissent deviner par leur titre la passion, la hauteur de vue et l’originalité de ses prises de position sur l’apprentissage, le jeu et l’interprétation au piano: La Musique et la Psychophysiologie (1896) et Les Rythmes du regard et la Dissociation des doigts (1906).


Les solistes, Joseph Swensen à la tête de l’Orchestre national de Lille et la Philharmonie de Bruxelles sous la direction de Hervé Niquet, engagés et convaincus, soutiennent avec éloquence l’entreprise du Palazzetto Bru Zane qui aura de nouveau redonné vie fertile à un créateur méconnu.


Christine Labroche

 

 

 

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