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02/01/2016
Franz Schubert : Quatre Impromptus, D. 899 – Drei Klavierstücke, D. 946
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 29, opus 106 «Hammerklavier»
Jean-Philippe Rameau : Les Tendres Plaintes – Les Tourbillons – Les Cyclopes – La Follette – Les Sauvages
Johannes Brahms : Intermezzo, opus 117 n° 2

Grigory Sokolov (piano)
Enregistré en public à la Philharmonie de Varsovie [Schubert] et au Grosses Festspielhaus, Salzbourg (2013) – 139’
Double album Deutsche Grammophon 479 5426 – Notice de présentation en français, allemand et anglais


 Sélectionné par la rédaction







«Sokolov. The Salzburg Recital»
Frédéric Chopin : Vingt-quatre Préludes, opus 28 – Mazurkas n° 41, opus 63 n° 3, et n° 47, opus 68 n° 2
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonates pour piano n° 2, K. 189e [280], et n° 12, K. 300k [332]
Alexandre Scriabine : Poèmes, opus 69
Jean-Philippe Rameau : Les Sauvages
Johann Sebastian Bach : Ich ruf’ zu Dir, Herr Jesu Christ, BWV 639

Grigory Sokolov (piano)
Enregistré en public au Grosses Festspielhaus, Salzbourg (30 juillet 2008) – 109’
Un double album Deutsche Grammophon 479 4342 – Notice de présentation en français, allemand et anglais


 Sélectionné par la rédaction





Franz Schubert : Sonate pour piano n° 16, D. 784 [1]
Robert Schumann : Carnaval, opus 9 [2]
Frédéric Chopin : Mazurka n° 13, opus 17 n° 4 [3] – Etudes n° 8, opus 10 n° 8 [4], et n° 23, opus 25 n° 11 [5]
Alexandre Scriabine : Sonate pour piano n° 9, opus 68 [6] – Etude, opus 8 n° 10 [7]
Igor Stravinski : Trois fragments de Pétrouchka [8]
Serge Prokofiev : Sonates pour piano n° 7, opus 83 [9], et n° 8, opus 84 [10]

Grigory Sokolov (piano)
Enregistré en public à Moscou (1966 [5, 7]), dans la Grande Salle de la Philharmonie de Saint-Pétersbourg (15 mars 1984 [6] et 26 mars 1988 [10]) et dans des lieux non précisés (1967 [2], 1969 [1, 3, 4, 9] et 1974 [8]) – 135’
Double album Melodiya MEL CD 10 02292 – Notice de présentation en français, russe et anglais


 Sélectionné par la rédaction





Un peu à la manière de Claudio Arrau (1903-1991), c’est sur le tard que l’emballement discographique pourrait rattraper la cohorte – plus confidentielle mais ô combien fervente – des amoureux de Grigory Sokolov (né en 1950), qui remplissent à ras bord les salles où il se produit.


Le mélomane de salon devait jusqu’à présent se contenter, d’une part, des quelques disques publiés par Naïve et datant pour la plupart du tournant des années quatre-vingt-dix (glanés à Saint-Pétersbourg entre 1978 et 1988, à Paris entre 1990 et 1993, ainsi qu’à Vérone en 1991 et Helsinki en 1992) et, d’autre part, d’un live filmé par Bruno Monsaingeon au Théâtre des Champs Elysées, le 4 novembre 2002 (disponible en DVD uniquement, chez Medici Arts désormais). La situation est peut-être en train de changer...


Melodiya ressuscite des enregistrements captés à la fin des années 1960, ainsi que lors d’un concert donné à Saint-Pétersbourg en 1984. On peut notamment entendre des gravures réalisées lors de la victoire de Grigory Sokolov au troisième concours international Tchaïkovski, à Moscou en 1967, à l’âge de seize ans – et notamment de fringantes Etudes en la mineur de Chopin et en bémol majeur de Scriabine. Ces archives font moins prendre conscience du chemin parcouru que de la cohérence de la conception artistique. L’ampleur du chemin parcouru est pourtant évidente à l’écoute, par exemple, d’une Sonate en la mineur de Schubert qui ne porte qu’en germe l’approche plus radicale encore du Sokolov d’aujourd’hui – et ce bien que l’Allegro vivace permette sans conteste de crier au génie!


Dans un Carnaval de Schumann brillant de mille couleurs (malgré l’opacité d’une prise de son trop métallique), l’interprète – encore mineur au moment des faits – réussit même l’exploit de faire naître l’émotion d’un toucher avare en nuances mais pas en vélocité. Les ressorts poétiques de cette exécution demeurent, à dire vrai, un mystère. Ils ne doivent, du reste, jamais faire oublier une évidence: celle d’une maîtrise confondante de l’instrument – dans la ferveur de la Huitième Sonate de Prokofiev ou la sorcellerie de la Neuvième Sonate de Scriabine comme dans la furie de la Septième Sonate de Prokofiev ou l’abattage de Pétrouchka (Stravinski).


Surtout, Deutsche Grammophon publie coup sur coup deux disques reflétant des témoignages très récents, pris sur le vif du récital. Le premier est l’écho d’un concert donné en 2008 au festival de Salzbourg – une scène où l’on a désormais (tout comme aux Champs-Elysées, au Bozar ou au Festspielhaus de Baden Baden) l’habitude du «rituel Sokolov».


Centré sur Mozart et Chopin, il sidère autant qu’il déconcerte: deux Sonates en fa majeur ciselées par un doigté d’une précision chirurgicale – n’hésitant pas à en rajouter dans l’ornementation mozartienne – et de fascinants Préludes déployant un legato très personnel et des trésors de musicalité chopinienne – au point de tirer les larmes. Un disque paru en 2015 et devenu depuis l’un des best sellers de l’étiquette jaune, d’autant qu’il prend soin d’inclure ce qui fait le sel des apparitions de Grigory Sokolov: la générosité des bis, rarement inférieure à six (lire ici ou ici).


Le second assemble, quant à lui, des extraits de prestations données en 2013, à Varsovie et à Salzbourg. Les quatre premiers Impromptus de Schubert obligent l’auditeur à bousculer ses habitudes. Dépeignant des atmosphères indubitablement dépressives, ceux en do mineur et en mi bémol majeur surprennent par la pesanteur d’un tempo qui semble buter en permanence sur lui-même, les doigts retenant leur frappe pour mieux tonner dans la résonnance de l’ivoire. Avec une violence inouïe. Celui en sol bémol majeur interroge la partition comme jamais – jusqu’à l’anéantissement. Enfin, l’Impromptu en la bémol majeur – dont la (ré)interprétation est peut-être la plus marquante – s’appuie sur un souffle haletant pour déployer un legato de la douleur et de la mort. S’il n’est pas moins prononcé, l’engagement interprétatif suscite moins d’étonnement dans les Klavierstücke, peut-être parce que la forme moins évanescente dans laquelle Schubert les coule se prête avec davantage d’évidence au travail du charpentier. Ou plutôt du sculpteur, tant les angles sont polis et les arêtes affûtées.


La Hammerklavier de Beethoven est tout autant réinventée mais suscite, tout le long de ses cinquante-trois minutes, une adhésion plus lente – voire laborieuse – et ne plaira pas à tout le monde. Malgré un flux dynamique passé au hachoir, l’Allegro impose pourtant des tempos d’évidence, certes étirés voire... écartelés. Insaisissable, le Scherzo est intensément rhapsodié, puis subitement électrisé. Si l’Adagio est une expérience déroutante mais moins bouleversante qu’on aurait pu l’espérer, le dernier mouvement efface toute froideur et réussit à dompter la fugue sans jamais la violenter – presque indescriptible à force de bousculer l’oreille et de surprendre les sens. Il vaut à lui seul le voyage vers lequel Sokolov conduit l’Opus 106 de Beethoven.


Pêché mignon des bis, les pièces de Rameau que Sokolov transporte de par le monde, depuis longtemps déjà, dessinent des paysages à la richesse harmonique et rythmique exceptionnelle. Quant à l’Intermezzo en si bémol mineur de Brahms qui clôt le récital salzbourgeois, il n’appelle que des éloges tant du point de vue de la richesse du doigté que de celui de la complexité du phrasé – égrenant les dernières notes avec une lenteur crépusculaire qui dessine l’infini. L’infini des sentiments.


On se situe au-delà de... beaucoup de choses. Mais ces disques – inclassables – donnent une image fidèle de l’art – aussi engagé qu’exigeant – de Grigory Sokolov. Un piano qui s’apprécie probablement mieux dans l’obscurité d’une salle de concert et qui implique assurément une longue fréquentation de partitions comme «remises sur le métier». Un piano qui respire le génie.


Gilles d’Heyres

 

 

 

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