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11/01/2015
Morton Feldman : Rothko Chapel
Erik Satie : Gnossiennes n° 1, n° 3 et n° 4 – Quatre Ogives: n° 1 et n° 2
John Cage : Four2 – ear for EAR (Antiphonies) – Five – In a Landscape

Kim Kashkashian (alto), Sarah Rothenberg (célesta, piano), Steven Schick (percussions), Houston Chamber Choir: Lauren Snouffer (soprano soliste), Sonia Bruzauskas (mezzo-soprano soliste), Robert Simpson (direction)
Enregistré à la Rice University (22 et 23 mai 2012) et au Performing Arts Theater (1er et 2 février 2013), Houston – 70’24
ECM New Series 481 1796 (distribué par Universal)





La musique américaine qui lui était contemporaine pouvait inspirer le peintre Mark Rothko (1903-1970), notamment celle de John Cage (1912-1992) ou celle de son ami Morton Feldman (1926-1987). Influencé par un John Cage libertaire qui admirait Erik Satie (1866-1925) comme Feldman plus tard à son tour, celui-ci s’inspira du climat que dégagent les quatorze tableaux de Rothko spécifiquement réalisés pour les murs de la célèbre chapelle octogonale sise à Houston, la Rothko Chapel, pour honorer la commande d’une œuvre pour le premier concert qui devait s’y tenir. Le programme de ce premier concert comporta en toute logique des œuvres des trois compositeurs. Bien que capté en des lieux et des concerts différents, le programme que présentent Kim Kashkashian, le Chœur de chambre de Houston et leurs amis est à l’identique.


L’ensemble des interprètes entre en jeu pour Rothko Chapel (1971) de Feldman. Le calme d’un lieu saint et la densité sombre des toiles de Rothko invitent au recueillement voire à la contemplation, ce qu’illustrent la réserve quasi mystique de la composition et sa grande force intérieure. La longue mélopée de l’alto se pose sur les textures lisses de l’ensemble, lisses mais extrêmement détaillées dans la profondeur nuancée des couleurs, tout à fait comme les tableaux abstraits de Rothko. La percussion passe d’un long grondement sourd ou d’une pulsation grave à un martèlement plus aigu, la nappe de sons émaillée du tintement retenu du célesta. Le chœur aux pupitres divisés est à l’image des grondements de la percussion dans une tessiture plus élevée, les longs accords prolongés sans aucune reprise de souffle apparente. De lents crescendos rythment la progression des quatre sections qui se fondent les unes dans les autres. La soprano et le contralto interviennent dans la troisième, le style de leur chant dépouillé étant le reflet de celui de l’alto. Dans la dernière section, moins statique, l’alto domine le continuo fluctuant du vibraphone qui s’étoile de sons clairs égrainés au célesta.


Le ton est donné, bien que la suite, sans percussion, soit une alternance de pièces seulement pour chœur ou pour piano. Les pages chorales de John Cage sont toujours interprétées avec une certaine religiosité et, menant à bien les choix aléatoires à faire, le Chœur de chambre de Houston, souplement dynamique, reste fidèle à l’esprit de leur conception. Four2 (1990) joue sur les étirements du son, chaque pupitre, divisé ou non, gardant un même son complexe. La relative beauté de la partition vient d’une construction aléatoire en strates décalées de facto imprévisibles. A cinq parties, Five (1988) est de construction semblable, les longues lignes des strates empilées en un contrepoint aux frottements harmoniques. Quoique plus lyrique, ear for EAR (1983) à double chœur en répons est de nouveau très sobre sonnant comme un plain-chant modal, ancien et nouveau à la fois. Sarah Rothenberg accentue peut-être trop la lenteur doucement méditative d’In a Landscape (1948) pour piano, au point d’en prolonger la durée d’un tiers par rapport à une Margaret Leng Tan, par exemple, rompue aux principes de Cage et de Feldman.


Chapelle oblige, les pièces de Satie touchent aussi au sacré ou à un mysticisme religieux. Les motifs des Ogives (1886) s’attachent à une modalité grégorienne, le titre même évoquant l’église. Malgré la publication tardive des trois dernières qui ne portaient aucun titre à l’origine, les Gnossiennes datent d’entre 1889 et 1891, période où Satie s’approchait de la confrérie Rose-Croix. Les indications de Satie, telles «Postulez vous-même», «Ouvrez la tête ou «Munissez-vous de clairvoyance» semblent avoir libéré Sarah Rothenberg de toute contrainte hormis les notes elles-mêmes et, accentuant le caractère rêveur ou contemplatif, son abus de rubato porte la Première Gnossienne en particulier presque au double de sa durée plus habituelle. Si elle arrondit ses attaques, en revanche elle plaque durement les suites d’accords des Ogives, accusant un contraste voulu mais soudain trop grand.


L’interprétation chorale relève d’un statisme dynamique tout à fait dans la note mais la prestation dans son ensemble se teinte d’une réserve quasi religieuse un peu trop monochrome. Excellente altiste, Kim Kashkashian, par exemple, semble un peu trop lisser une partie qui, sous d’autres archets, peut prendre plus de relief. Le programme en lui-même, cependant, ne manque ni d’originalité ni d’intérêt, tant s’en faut.


Le site du Chœur de chambre de Houston


Christine Labroche

 

 

 

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