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11/01/2015 Robert Schumann : Das Paradies und die Peri, opus 50 Sally Matthews (La Péri), Mark Padmore (Le narrateur), Kate Royal (La jeune fille, Quatuor vocal), Bernarda Fink (L’ange, Quatuor vocal), Andrew Staples (Le jeune homme, Quatuor vocal), Florian Boesch (Gazna, Quatuor vocal), Solistes de la Guildhall School: Francesca Chiejina, Elizabeth Skinner, Bianca Andrew, Emily Kyte, London Symphony Chorus, Simon Halsey (chef de chœur), London Symphony Orchestra, Sir Simon Rattle (direction)
Enregistré en public au Barbican, Londres (11 janvier 2015) – 88’03’
Coffret de deux SACD hybrides et un Pure Audio Blu-ray LSO Live LSO0782 – Notice en anglais, allemand et français, livret en allemand et traduction en anglais
On connaît les affinités de Simon Rattle avec Robert Schumann, qui ont notamment donné lieu à un enregistrement des Symphonies réalisé à Berlin en 2013. Le chef anglais a aussi déjà dirigé Le Paradis et la Péri, notamment en 2007 avec l’Orchestre de l’Age des Lumières et en 2010 avec l’Orchestre philharmonique de Berlin. Mais il a finalement choisi d’enregistrer cette œuvre, en concert, avec l’Orchestre symphonique de Londres dont il deviendra, à son départ de Berlin en 2017, le directeur musical.
Œuvre joyeuse et féerique d’un Schumann encore en pleine santé, Le Paradis et la Péri est, avec les Scènes de Faust, son autre grande œuvre chorale profane. Elle a déjà été enregistrée par de très grands chefs parmi lesquels Armin Jordan, Guiseppe Sinopoli, Carlo-Maria Giulini et, plus récemment, Nikolaus Harnoncourt et John Eliot Gardiner. Elle est inspirée par le poème épique Lalla Rookh de l’Irlandais Thomas Moore, publié en 1817 à un moment où la mode de l’Orient battait son plein. Lorsqu’en 1841 Emil Fleschig, un ami de Schumann, lui adresse ce texte, il est frappé par une partie intitulée «Le Paradis et la Péri», qui raconte comment la Péri, esprit féminin angélique, est chassée du paradis à cause d’un péché qu’elle ne connaît pas. Elle n’en obtient pas moins le droit de se racheter si elle s’engage à apporter à Dieu ce qui lui est le plus cher. Séduit par cette histoire, Schumann, après avoir demandé à son ami poète Adolph Böttger d’adapter la pièce, se lance dans la composition d’une œuvre hybride à mi-chemin entre l’opéra et l’oratorio, sorte d’oratorio profane. La création à Leipzig en 1843 fut un vrai succès à tel point qu’une seconde exécution fut rapidement programmée à Dresde. Cette œuvre fut également très souvent donnée au XIXe siècle en Grande-Bretagne, où les nombreux chœurs amateurs de ce pays s’emparèrent de l’œuvre. Après une disparition du répertoire au début du XXe siècle, elle a depuis environ une décennie à nouveau les faveurs des interprètes. Cet enregistrement, réalisé par un orchestre moderne, un chœur en grand effectif et l’un des plus grands chefs actuels, en est une nouvelle preuve.
Composé de trois parties équivalentes en durée, Le Paradis et la Péri alterne les passages orchestraux et solistes avec de nombreux passages confiés au chœur, notamment dans les première et troisième parties. Si chacune de ces parties contient quelques pépites, il faut néanmoins reconnaître que l’œuvre n’atteint pas le niveau d’inspiration des Scènes de Faust. Dans la première partie, les passages particulièrement réussis de cet enregistrement sont l’introduction, avec son beau legato et ses contrechants aux cordes graves et aux bassons, le récitatif de l’ange (n° 3), le quatuor (n° 5), qui n’est pas sans rappeler Fidelio, et le final (n° 9), qui comprend une étonnante fugue aux curieuses modulations. Dans la deuxième partie, le chœur des génies du Nil (n° 11), qui rappelle Mendelssohn, l’impressionnant récit du narrateur (n° 12), évoquant la peste avec ses troublantes harmonies et son solo de cor annonçant Le Livre des sept sceaux de Franz Schmidt, l’étonnant quatuor en partie a cappella (n° 13), l’air de l’ange (n° 14) et le final avec chœur (n° 17) sont également très convaincants. Quant à la troisième partie, elle est dominée par l’air du baryton (n° 4), avec son délicieux accompagnement de cordes, et l’impressionnant final (n° 9).
Concernant les solistes, l’interprétation et les moyens sont bien là pour la magnifique Bernarda Fink, au timbre toujours chaud et d’une musicalité évidente. En narrateur, Mark Padmore est lui aussi très convaincant avec un allemand clair, un timbre touchant et une science de diseur, essentielle dans cette pièce, et sans doute liée à sa pratique régulière des récitatifs chez Bach. Quant au baryton Florian Boesch, il est magnifique de présence et de style, même si son rôle est moins important. Les courtes interventions du ténor Andrew Staples dans le rôle du jeune homme sont en place. Malheureusement, la Péri de Sally Matthews montre dès sa première intervention ses limites notamment dans le registre aigu constamment tendu, trop vibrant et parfois bas d’intonation. Ces limites se retrouvent à des degrés variables dans la suite de l’enregistrement. Kate Royal, dans le rôle restreint de la jeune fille, semble également limitée par des aigus imparfaits.
Le London Symphony Chorus, préparé par Simon Halsey, son directeur depuis 2012, n’a pas le niveau du City of Birmingham Symphony Chorus, l’autre grande formation chorale amateur britannique, dirigé par ce même chef de chœur depuis plus de trente ans. Si la mise en place générale est bonne, notamment les terminaisons des consonnes – on le sait, une signature de Simon Halsey – et l’allemand compréhensible, certaines entrées sont parfois brouillonnes et les timbres des voix aiguës, surtout lorsqu’elles interviennent isolément, trop clairs. Une certaine rusticité dans les tutti, nécessairement aux dépens de la polyphonie, est également à déplorer. Ces remarques ponctuelles ne doivent pas faire perdre de vue la qualité globale de la prestation chorale, notamment en terme d’engagement et de discipline collective, surtout lorsque l’on songe qu’il s’agit d’un enregistrement sur le vif.
L’Orchestre symphonique de Londres, sans atteindre à la splendeur des orchestres germaniques, remplit son rôle avec précision et professionnalisme, emmené par le talent et l’énergie de son futur directeur. Le legato est souvent magnifique, les bois raffinés et l’ensemble sonne le plus souvent beau et intense, à part quelques traits rêches des premiers violons. Mais il est dommage que par moments, notamment dans le final de la première partie, Simon Rattle sollicite à l’excès les timbales et les cuivres, comme s’il oubliait qu’il avait en face de lui un orchestre moderne. C’est sans doute aussi ce trop-plein d’énergie qui explique les quelques défauts de justesse de certaines entrées exposées du chœur.
Un enregistrement qui présente donc d’incontestables qualités mais qui ne convainc pas complètement, surtout du fait d’une Péri décevante et d’un Simon Rattle parfois trop dans la recherche de l’effet. Il est néanmoins probable que l’écoute répétée de cet enregistrement révèle plus ses nombreuses qualités que ces quelques défauts. Cet enregistrement n’est donc pas à réserver aux seuls inconditionnels de Simon Rattle et/ou de Robert Schumann et pourrait constituer une façon de découvrir une œuvre insuffisamment connue même si, il faut bien le reconnaître, elle est d’inspiration inégale.
Gilles Lesur
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