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06/12/2015
«Schnittke and his ghosts»
Alfred Schnittke : Variations sur un accord – Sonate pour piano n° 2
Anton Webern : Variations pour piano, opus 27
Wolfgang Amadeus Mozart : Adagio en si mineur, K. 540
Dimitri Chostakovitch : Trois Variations sur un thème de Glinka, opus 104 b
Alexandre Scriabine : Sonate pour piano n° 4 en fa dièse majeur, opus 30

Angelina Gadeliya (piano)
Enregistré à Yonkers (septembre 2014) – 55’41
Labor Records «Music of Tribute» vol.8, LAB 7093 – Notice d’Eric Salzman





Au cœur d’un programme en hommage à Alfred Schnittke (1934-1998), Angelina Gadeliya (née en 1978) interprète deux pièces pour piano du compositeur russe qui ont en commun d’être écrites pour et dédiées à son épouse Irina, qui les créa. A la place de références et d’hommages de confrères à l’adresse du compositeur à l’honneur, la pianiste inverse la formule habituelle de la collection «Music of Tribute» en proposant, autour de ces deux partitions, un programme d’œuvres de compositeurs auxquels Schnittke attacha une importance musicale, proche du spirituel, pendant toute sa vie professionnelle.


Le premier terme qui s’impose à l’esprit lorsqu’il s’agit de Schnittke, c’est le polystylisme, qui est pourtant loin d’être ce qui caractérise l’ensemble de son œuvre toujours marqué par sa forte personnalité, par la rigueur de sa composition, par la richesse de son génie inventif et par la charge émotionnelle parfois grinçante, sous-jacente ou ouvertement exposée dans une veine soudain plus mélodique que le compositeur désignait sous le terme de «cadavre exquis». Une certaine austérité poétique et un style éclaté réunissent les deux partitions au programme, malgré des dates de composition très éloignées. Les six Variations sur un accord datent de 1965 et la Deuxième Sonate de 1990, avant et après la période où Schnittke se référait lui-même au polystylisme et, pour les deux pièces, l’unité de l’inspiration est une évidence première. Toutefois, la nature même de la variation permettrait de classer chaque variation selon son style: d’un impressionnisme dissonant en héritage indirect d’un Debussy, aux fragments thématiques empilés à la Stravinsky, percussif comme Prokofiev sait l’être, ou aux effets de cloches très russes, par exemple, pour les quatre premières. Webern est cependant le seul compositeur nommé par Schnittke, puisqu’il choisit d’exploiter l’idée structurelle de la deuxième des trois Variations pour piano (1936) de son aîné. Chaque note de la série reste à la hauteur choisie pour elle au départ, ce avec un effet plus pointilliste chez Webern que chez Schnittke. Gadeliya enchaîne les deux œuvres (Schnittke, Webern), son style musclé et énergique accusant peut-être les angles des deux partitions plus que les instants de douceur poétique.


Une troisième série de variations inattendue se greffe aux deux premières. Il s’agit des trois Variations par lesquelles Chostakovitch contribua à une œuvre collective pour célébrer le centenaire de Glinka en 1957. Le thème est celui de la «Chanson de Vania» de l’opéra Une vie pour le tsar (Ivan Soussanine) et la contribution de Chostakovitch, d’une respiration ample, reste néanmoins majestueusement classique et peu représentative de son auteur. Pour que la transition soit aisée, Gadeliya intercale, en total contraste, l’Adagio en si mineur (1787) de Mozart. L’interprétation est en tout point correcte, le changement de style imposé par les quatre morceaux assumé, mais le piano de Gadeliya imprime une aura à l’ensemble qui durcit le ton et peut parfois manquer de souplesse. Ces choix s’expliquent par l’admiration que Schnittke portait à son aîné russe et par le culte qu’il vouait aux deux écoles de Vienne, comme les cadences écrites pour des concertos de Mozart et de Beethoven et des œuvres telles les différentes Moz-Art et Moz-Art à la Haydn en témoignent, les années les plus insouciantes de son existence étant les deux, très musicales, passées dans la capitale autrichienne entre 1946 et 1948.


La seconde moitié du programme se consacre à la sonate, se terminant par la brève Quatrième Sonate de Scriabine, pour laquelle la pianiste ukrainienne trouve quelque tendresse malgré la fièvre d’un finale plus heurté. Sans «cadavre exquis», comme les Variations sur un accord mais avec un bref choral dissonant, très touchant, qui apparaît à trois reprises, la Deuxième Sonate d’un Schnittke ébranlé et jamais psychiquement remis à la suite d’une attaque presque fatale et du décès de sa mère, ne manque pas de profondeur, loin s’en faut nonobstant la violence de certains traits. La fluidité du premier mouvement, davantage fondé sur le contrepoint que sur l’accord, domine les gros à-coups jusqu’au cluster qui soudain s’imposent. Ce même style s’exacerbe au troisième mouvement, la fluidité éclatée et les accords répétés avec une insistance qui se transforme en rage noire sous les doigts d’Angelina Gadeliya. Entre les deux, un Lento tout en douceur douloureuse, les accords allant d’une poignante dissonance au cluster ou au silence poétique. Le choral naît ici et, repris et désarticulé au cours du finale, c’est lui, intact, qui permet à la musique de se dissoudre dans un silence tendu.


Sa vie durant, Schnittke se forma et composa dans des conditions difficiles, conditions de guerre, de politique et de santé, mais la composition resta pour lui une nécessité vitale. Sensible à la profondeur spirituelle que recèle son œuvre, en surface parfois décalée ou caustique, Angelina Gadeliya le défend avec une conviction intense. On peut admirer son style très direct mais ressenti ou lui préférer un Boris Berman plus nuancé (Chandos) comme regretter la part réduite attribuée à Schnittke lui-même dans son programme hétéroclite, mais ni le concept ni la prestation ne manquent d’intérêt.


Le site d’Angelina Gadeliya


Christine Labroche

 

 

 

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