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05/06/2015
Cahiers de conversation de Beethoven
Traduit de l’allemand et présenté par Jacques-Gabriel Prod’homme, avant-propos de Nathalie Krafft
Buchet - Chastel, 2015, 446 pages (23 euros)





Comme l’écrit très justement Nathalie Krafft dans son avant-propos, ce livre «est un objet unique, engendré par une infirmité». En effet, Ludwig van Beethoven (1770-1827) a, dès les débuts de sa surdité, rapidement pris l’habitude de communiquer avec ses amis et ses visiteurs par le biais de cahiers et d’ardoises où il posait ses questions, donnait ses réponses et pouvait de même lire celles de ses divers interlocuteurs. Ces cahiers de conversation furent recueillis en grande partie par Anton Schindler (1795-1864) qui, malheureusement pour nous, y fit de nombreux ajouts pour servir sa propre gloire et notamment arguer d’une proximité avec Beethoven qui ne semble pas avoir été aussi profonde qu’il veut bien nous le faire croire... Par la suite, ces cahiers firent l’objet de diverses éditions, une édition complète étant actuellement en cours sous la houlette d’une équipe berlinoise.


Les écueils de cet ouvrage, qui ne couvre qu’une partie des cahiers de conversation, viennent donc en premier lieu de l’authenticité douteuse de certains passages. Ils viennent également du fait que les propos de Beethoven lui-même (signalés dans ce livre par des traits dessinés dans la marge) sont en fin de compte très peu nombreux: ce sont surtout ceux de ses interlocuteurs que l’on découvre ici. En outre, les paroles du compositeur faisant défaut, les extraits de conversations relatées ici perdent beaucoup en cohérence et ce ne sont parfois que des successions de bouts de phrases, des bribes de rencontres, de simples mots même qui nous sont ainsi donnés. De plus, dans les propos de Beethoven, peu nombreux sont ceux qui ont trait à la musique proprement dite: on en apprend ainsi beaucoup plus sur ses relations avec son neveu Karl (dans les premières pages, lorsque se pose la question de la tutelle de ce dernier ou à la fin, lorsque Karl a tenté de se suicider avant de s’engager dans l’armée), sur quelques détails de sa vie quotidienne (Beethoven notant par exemple qu’il doit acheter des «Bougies, [et un] baquet pour la lessive», page 116, ou des «Mouchoirs. Pantoufles. Encre», page 144) ou sur son intérêt pour le développement des appareils ou traitements médicaux luttant efficacement contre la surdité (l’appareil de Maelzel notamment, page 131).


Pour autant, certains passages sont du premier intérêt en ce qui concerne l’œuvre de Beethoven, à commencer nous semble-t-il par les circonstances dans lesquelles se prépara le grand concert du 7 mai 1824 où furent notamment créés la Neuvième Symphonie et trois extraits de la Missa Solemnis (pages 254 sq.). On y apprend par exemple que le compositeur souhaitait «20 à 24 choristes par partie» (page 270), tordant ainsi le cou à ceux qui souhaitent aujourd’hui interpréter ces œuvres avec de petits effectifs au nom d’une certaine authenticité... On lira également avec intérêt les développements sur ses derniers quatuors, interprétés sous la houlette de «Mylord Falstaff», surnom que Beethoven donnait au violoniste Schuppanzigh en raison de son embonpoint (page 296), sur les relations qui pouvaient s’établir entre un compositeur et un éditeur musical (pages 118 sq.), sur le prix d’un concert et le partage des recettes qui s’en suivait (pages 255 et 256) ou sur les projets de nouvel opéra que le compositeur avait en tête sur le thème de Saül (pages 188, 204, 210 et 344 notamment). On apprend par ailleurs de nombreuses choses sur la vie musicale de l’époque, qu’il s’agisse du très bon accueil fait à Vienne aux opéras de Rossini que Beethoven abhorrait (Schindler parlant de «gargouillades italiennes» à la page 277, Beethoven le traitant même de «bousilleur» à la page 296) alors qu’il vouait une profonde admiration pour Händel, ou sur le remord qu’avait Salieri d’avoir tué Mozart (page 251) même si cette affirmation fut, dès cette époque, mise en doute et sujette à bien des conjectures.


La présentation du livre, divisé en autant de chapitres qu’il couvre d’années (neuf au total, de 1819 à 1827), chaque chapitre étant précédé d’une description assez détaillée de l’année en question dans la vie de Beethoven, est claire et didactique. En outre, les notes de bas de page ainsi que les notices biographiques figurant en fin d’ouvrage sont utiles bien que parfois un brin imprécises (ainsi Gioseffo Zarlino nous est présenté comme étant un «compositeur [et] théoricien» page 38 alors qu’il devient «musicologue» page 73, le Labyrinthe de l’Histoire de Kuffner – l’auteur du texte de la Fantaisie chorale – semblant par ailleurs comprendre quarante volumes selon les propos de son auteur alors que la note au bas de la page 374 parle de seulement quatre volumes sans que l’on sache si cette différence est avérée ou résulte d’un problème de traduction).


Cet ouvrage, on l’aura compris, ne s’adresse donc pas à ceux qui ne connaîtraient rien à Beethoven mais, bien au contraire, à ceux qui possèdent déjà un minimum de connaissances biographiques et musicales sur le compositeur, dont on approche ici davantage l’intimité de la vie quotidienne que l’esprit créatif et génial. Un ouvrage d’approfondissement avant tout.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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