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02/16/2015
Charles Wuorinen : Brokeback Mountain
Daniel Okulitch (Ennis del Mar), Tom Randle (Jack Twist), Heather Buck (Alma), Hannah Esther Minutillo (Lureen), Ethan Herschenfeld (Aguirre, Hog-Boy), Celia Alcedo (La mère d’Alma), Ryan MacPherson (Le père de Jack), Jane Henschel (La mère de Jack), Hilary Summers (La barmaid), Letitia Singleton (Une vendeuse), Gaizka Gurruchaga (Un cow-boy), Vasco Fracanzani (Bill Jones), Coro titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta titular del Teatro Real (Orquesta sinfónica de Madrid), Titus Engel (direction musicale), Ivo van Hove (mise en scène), Tal Yarden (vidéo), Wojciech Dziedzic (costumes), Jan Versweyveld (décors et lumières), Jan Vandenhouwe (dramaturgie), Jérémie Cuvillier (réalisation), François Duplat (production)
Enregistré en public à Madrid (février 2014) – 150’
DVD Bel Air Classiques BAC 111 (ou Blu-ray BAC 411) (distribué par Harmonia mundi)


 Sélectionné par la rédaction





En préambule au compte rendu de l’enregistrement vidéo de la création de ce passionnant spectacle au Teatro Real de Madrid en 2014, réalisé à la mémoire de Gerard Mortier qui en fut l’instigateur, il faut préciser un fait littéraire. Dans la nouvelle éponyme d’Annie Proulx, qui a inspiré à en 2005 Ang Lee un film poly-oscarisé lui assurant un succès planétaire, on peut lire à la première page, qui brosse en un paragraphe un saisissant portrait des deux cow-boys: «Neither of them was twenty» («aucun des deux n’avait vingt ans»). Même avec les artifices du cinéma, et aussi extraordinaires qu’étaient les deux interprètes, le film peinait à donner une vérité esthétique à cette réalité. L’opéra, qui ne permet aucun artifice et déroule en deux heures une histoire qui s’étale sur une petite vingtaine d’années, nous montre deux adultes bien en chair à qui aucun gros plan n’est épargné. Précision indispensable, nous semble t-il, sur le degré d’adaptabilité et de crédibilité de cette histoire bouleversante.


La réalisation scénique d’Ivo van Hove est en tous points remarquable. Le dispositif scénique très simple et principalement constitué d’éléments amovibles et coulissants permet à l’action de se dérouler sans temps morts, plusieurs actions pouvant se passer simultanément sur la scène. Le fait qu’il n’y ait pas de division et que l’opéra soit donné sans interruption est un grand atout dramatique, quasi cinématographique. Grâce à quelques projections et vidéos et à d’ingénieux éclairages, on passe sans mal des paysages arides et hostiles des montagnes Rocheuses au Wyoming aux demeures respectives à la décoration très naturaliste des deux cow-boys et de leurs épouses. Malgré la réserve que l’âge des acteurs fausse un peu la donne et transforme une histoire d’amour entre deux adolescents en une affaire entre adultes consentants (certaines scènes d’amour sont plus explicites que dans le film), et le fait qu’Annie Proulx, dans son adaptation pour l’opéra, se soit rapprochée de sa nouvelle dont l’adaptation cinématographique l’avait un peu éloignée, le jeu des deux protagonistes est remarquable de vérité, de tact, de sensibilité, et d’autant meilleur que la fin approche et qu’ils sont plus dans la peau de l’âge des situations.


Il est dommage de devoir dire que le point faible de cet opéra est sa partition. Le compositeur américain Charles Wuorinen (né en 1938), à qui Mortier avait originalement commandé l’œuvre pour le New York City Opera, est resté dans un sérialisme de bon aloi et à une distance du texte qui ne permet aucune sensualité, aucun épanchement. Constamment la musique refuse au texte le message qu’il devrait délivrer. Pour le style, on navigue entre la manière tardive de Schoenberg, le style déclamatoire opératique de Berg et le sérialisme de Stravinski. L’orchestration, trop heurtée dans son déroulement, ne met jamais l’auditeur en situation de se laisser aller à la simple action dramatique. Cette froideur s’arrange un peu vers la fin de l’œuvre pour rendre un peu plus crédible la dernière scène entre les deux cow-boys et le pathétique solo final d’Ennis ainsi que sa rencontre avec les parents de Jack. On regrette qu’Annie Proulx ne se soit pas prise elle-même comme modèle car autant sa nouvelle est un modèle d’économie littéraire, son adaptation souffre de logorrhée.


Les deux protagonistes, deux chanteurs américains, sont des interprètes remarquables, tant le baryton Daniel Okulitch (Ennis), qui évolue vocalement d’un sprechgesang dénotant sa nature un peu fruste à une maturité dans la ligne vocale étonnante. Tom Randle (Jack), dont la voix est plus usée, mène malgré cela fort bien la tenue de sa partie qui est plus dramatique. Leurs épouses, respectivement Heather Buck (Alma) et Hannah Esther Minutillo (Lureen), sont aussi admirables dans leurs compositions et dans la façon dont elles font évoluer leurs rôles. Tous les personnages secondaires (parfois doubles) sont parfaits, notamment Ethan Herschenfeld (Aguirre, Hog-Boy) et la très extraordinaire Jane Henschel, bouleversante dans le rôle de la mère de Jack. Titus Engel dirige les forces madrilènes avec beaucoup d’intensité, particulièrement le formidable Chœur du Teatro Real, qui intervient comme la voix de la société et à qui la partition confie peut être ce qu’elle contient de meilleur.


Les vingt minutes de bonus, qui convoquent les principaux artisans de l’opéra pour l’habituelle paraphrase de ce que l’œuvre exprime de façon évidente, n’apportent pas grand chose au spectateur du DVD.


Olivier Brunel

 

 

 

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