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01/15/2015
Anton Bruckner : Symphonie n° 5 en si bémol majeur (édition Nowak 1951, 3e édition revue en 2005)
Koninklijk Concertgebouworkest, Nikolaus Harnoncourt (direction), Joost Honselaar (réalisation)
Enregistré en concert au Royal Concertgebouw les 25 et 27 octobre 2013 – 67’43
RCO Live Blu-ray RCO 14106 (ou DVD RCO 14103) – Son PCM Stereo – Format NTSC 4:3 – Region Code 0 – Notice (en anglais, français, allemand et hollandais) de Frits Vliegenthart


 Sélectionné par la rédaction





Anton Bruckner : Symphonie n° 5 en si bémol majeur (édition Haas 1878)
Sächsische Staatskapelle Dresden, Christian Thielemann (direction), Henning Kasten (réalisation)
Enregistré en public au Semperoper de Dresde (8 et 9 septembre 2013) – 89’
Unitel Classics/C Major Blu-ray 717904 (ou DVD 717808) – Son PCM Stereo – Format NTSC 4:3 – Region Code 0 – Notice (en anglais, allemand et français) de Tobias Niederschlag

 Sélectionné par la rédaction





Alors qu’il s’agit peut-être de la symphonie la plus difficile d’accès d’Anton Bruckner (1824-1896), la Cinquième bénéficie là de deux nouvelles gravures filmées après déjà de splendides versions dirigées par Sergiu Celibidache à Munich, Günter Wand au Festival de Schleswig-Holstein, Claudio Abbado à celui de Lucerne ou Daniel Barenboim à la Philharmonie de Berlin. En l’occurrence, deux chefs, issus de deux traditions et de deux générations différentes, pour qui Bruckner n’a plus guère de secret: Nikolaus Harnoncourt et Christian Thielemann. On ne peut guère imaginer plus dissemblables!


Commençons par Harnoncourt qui a d’ailleurs commencé à enregistrer Bruckner en abordant la Cinquième à la tête des Wiener Philharmoniker lors d’un concert dont l’écoute frappe encore aujourd’hui l’auditeur par son urgence et son dramatisme. Ici, dans la superbe salle du Concertgebouw, c’est bien d’un concert appelé à devenir légendaire auquel on assiste, puisqu’après avoir dirigé la prestigieuse phalange 276 fois, Harnoncourt fait à cette occasion ses adieux à l’Orchestre royal du Concertgebouw après avoir commencé à le diriger en 1975, le grand chef autrichien ayant gagné ses galons de chef invité honoraire en octobre 2000. En préalable, il faut tout de suite signaler que le présent concert est issu de deux représentations données les 25 et 27 octobre 2013, ce qui donne lieu à quelques raccords certes à peine visibles (on les remarque néanmoins à 41’40 ou à 59’39 par exemple) mais, pour l’un d’entre eux, assez étrange: ainsi, le chef d’attaque des seconds violons n’est pas le même dans le quatrième mouvement que dans le reste de la symphonie alors qu’au moment des saluts, c’est pourtant celui des trois premiers mouvements qu’on voit à l’écran! Signalons également que ce n’est pas le concert que l’on a pu suivre en direct sur Mezzo (disponible sur YouTube), où l’entrée en scène de Harnoncourt avait été plus lente et qui avait été inauguré par une brève sonnerie de téléphone portable que l’on n’entend pas ici...


Après une entrée saluée par des applaudissements frénétiques de la part tant du public que des musiciens (de nombreux archets s’agitant, chaque instrumentiste étant conscient de l’importance symbolique de ce concert), Harnoncourt lance l’orchestre dans un premier mouvement d’une tenue exceptionnelle. Les musiciens répondent à la moindre de ses inflexions en allégeant un discours que l’on entend souvent lourd et compassé, les effectifs de l’orchestre étant d’ailleurs assez réduits pour une telle œuvre (seulement six contrebasses et trois trompettes alors que, chez Celibidache ou Thielemann par exemple, ces pupitres sont souvent respectivement portés à huit et cinq). Cette légèreté prend tout son sens dans le deuxième mouvement, où le discours avance de façon régulière et où, alors qu’il est pourtant marqué Sehr langsam, les légatos des cordes perdent le caractère impressionnant qu’ils ont habituellement chez Bruckner (à partir de 27’ notamment): nul doute que Harnoncourt a souhaité abandonner toute révérence excessive à l’égard de ce monument symphonique. Et c’est évidemment ce qu’on se dit en entendant le Scherzo (Molto vivace), sûrement le mouvement ici le plus déroutant. Bien qu’il soit composé dans la sombre tonalité de mineur, Harnoncourt parvient à le prendre à la légère, jouant sur le rythme à trois temps qui lui confère tout à coup des couleurs joyeuses dans lesquelles les musiciens s’immergent avec un plaisir ostensible: pour un peu, on sentirait poindre l’atmosphère d’une valse viennoise. Le dernier mouvement est très bien conduit, la coda conclusive perdant là aussi son caractère monumental par un jeu de nuances qui brise l’élan implacable que l’on y entend habituellement: même si cette dernière option peut être regrettée, il n’en demeure pas moins que voilà un immense concert où le public salue le chef par une standing ovation immédiate, sitôt le dernier accord achevé. Si le jeu des caméras s’avère assez classique (on regrettera néanmoins que les plans sur la gestique de Harnoncourt ne soient pas plus longs, la brièveté de certains passages étant plus frustrante qu’autre chose), l’émotion nous envahit comme elle a dû frapper chaque spectateur présent ce soir là: nul doute, encore une fois, que voici un concert appelé à devenir légendaire.


Autre cadre (le Semperoper de Dresde), autre orchestre (la Staatskapelle), autre chef (Thielemann), mais même œuvre au programme: évidemment, l’impression qui en ressort s’avère assez différente. La conception de Christian Thielemann, excellent brucknérien au demeurant, est classique: le caractère monumental de la partition, l’opulence du son, la vigueur des cuivres et la plénitude des cordes sont pleinement assumés. Et le fait est que ça fonctionne magnifiquement! Après nous avoir offert d’excellentes versions des Septième et Huitième, toutes deux captées sous les ors du Semperoper de Dresde, voici là une très belle version de la Cinquième, œuvre avec laquelle Thielemann avait inauguré son mandat à la tête des Müncher Philharmoniker le 29 octobre 2004 (le concert ayant donné lieu à une parution tant sous la forme d’un CD que d’une vidéo, tout aussi impressionnante que celle-ci). L’orchestre, en premier lieu, est irréprochable. On connaît les couleurs de cette phalange exceptionnelle et, de nouveau, on ne peut qu’admirer le résultat même si le premier mouvement n’est pas exempt de quelques lourdeurs (à 15’45): les bois sont d’une finesse incroyable, les cuivres brillent de tout leur éclat et les cordes sont somptueuses. Dans le deuxième mouvement, Thielemann fait sonner au maximum les légatos de cordes (le passage à 26’43 est sublime): l’impression laissée sur l’auditeur est supérieure à la version Harnoncourt grâce à un souffle qui, en dépit d’un tempo assez lent (Thielemann respectant à ce titre davantage l’indication Sehr langsam), est habité de la première à la dernière note. Comme à son habitude, le chef allemand dirige beaucoup par le regard (toujours très dur, très fermé, impassible même comme on peut le voir à 38’30), sa baguette n’indiquant en plus d’une occasion que quelques signaux imperceptibles auxquels l’orchestre répond pourtant en une fraction de seconde. Dans le Scherzo, et comme l’on pouvait s’y attendre, Thielemann choisit l’option consistant à en faire un mouvement implacable que rien ne peut arrêter: le caractère léger, voire espiègle, qui était privilégié par Harnoncourt n’existe pas ici. Quant au Finale, lancé par l’excellent clarinettiste Wolfram Große, il permet de mettre en valeur tous les pupitres de la Sächsische Staatskapelle Dresden, dont les cuivres laissent là encore une impression supérieure à celle de leurs pourtant excellents comparses amstellodamois: pour qui en douterait, on conseillera d’aller écouter directement le choral à 66’35. Un mot enfin sur la manière de filmer de Henning Kasten, qui est plus recherchée que pour le concert d’Amsterdam, les plans étant davantage diversifiés et les caméras n’hésitant pas à s’attarder davantage sur la gestique du chef ou sur les plans larges permettant de voir à la fois Thielemann et ses musiciens.


En fin de compte, avouons-le, il est bien difficile de départager ces deux enregistrements. Si la qualité musicale est sans aucun doute équivalente, les options musicales de Thielemann nous semblent néanmoins, peut-être par habitude, plus convaincantes. Alors, que choisir entre la seule musique et la dimension historique du concert de Harnoncourt? Par manque de courage peut-être, on conseillera l’acquisition des deux, à chacun ensuite de privilégier tel ou tel aspect et de se forger son propre avis.

Le site de Nikolaus Harnoncourt
Le site de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam
Le site de l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde


Sébastien Gauthier

 

 

 

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