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08/21/2013
Antonio Sacchini : Renaud ou la suite d’Armide

Marie Kalinine (Armide), Julien Dran (Renaud), Jean-Sébastien Bou (Hidraot), Pierrick Boisseau (Adraste, Arcas, Tissapherne, Mégère), Julie Fuchs (Mélisse, Une coryphée), Katia Velletaz (Doris, Une coryphée), Chantal Santon (Antiope), Jennifer Borghi (Iphise), Cyrille Dubois (Tisiphone, Un chevalier), Pascal Bourgeois (Alecton), Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Olivier Schneebeli (direction), Les Talens lyriques, Christophe Rousset (direction)
Enregistré à l’Arsenal, Metz (21 et 22 octobre 2012) – 108’19
Deux disques et livre de 135 pages Ediciones Singulares ES 1012 – Notice exemplaire bilingue (français et anglais) d’Alexandre et Benoît Dratwicki





Must de ConcertoNet


Bien que n’y ayant pas directement participé, Antonio Sacchini (1730-1786) peut être considéré comme une victime collatérale de la célèbre querelle qui opposa Gluckistes et Piccinistes dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.


Sans s’attarder trop longuement sur cet épisode de tragédie lyrico-politico-littéraire comme la France en a parfois le secret, contentons-nous de rappeler que Christoph Willibald Gluck (1714-1787) avait considérablement renouvelé le genre de la tragédie lyrique tel que fixé par Lully et Rameau. Y apportant divers éléments jusqu’alors inconnus ou refusés en France, Gluck donne notamment une bien plus grande importance à l’orchestre (désormais présent pendant les récitatifs) et abandonne le principe de la tragédie en cinq actes au profit de trois, revitalisant ainsi l’action et le genre tout entier. Alors que Gluck apparaît comme le nouveau maître de la musique en France, appuyé il est vrai par la reine Marie-Antoinette, Niccolò Piccinni (1728-1800) arrive à Paris auréolé de talents acquis à travers toute l’Italie. Il devient professeur de chant de la Reine et se voit rapidement opposé à Gluck pour diverses raisons esthétiques. Le paroxysme de l’opposition survient en 1777 lorsque Piccinni dévoile aux convives, lors du mariage de Marmontel (son principal partisan), quelques airs de son Roland, sujet sur lequel travaillait également Gluck à la même époque, et qui devait donner naissance à son célèbre opéra Armide (1777). L’abbé Arnaud, chaud partisan de Gluck, moquant le projet de Piccinni, se serait alors écrié «Eh bien, nous aurons un Orlando et un Orlandino!» En réplique, Marmontel insulta l’Abbé, de telle sorte que le prince de Beauvau et le prince Louis, coadjuteur de Strasbourg, essayèrent tous deux d’apaiser les querelles en insultes en souhaitant mettre fin aux échanges de poèmes, libelles, lettres et piques de part et d’autre mais sans succès. Même si la Reine fut présente à la création d’Armide, ce fut un relatif échec pour Gluck ce qui suscita une joie certaine chez La Harpe, partisan de Piccinni, Gluck lui répondant vertement en retour: «J’ai été confondu en voyant que vous en aviez plus appris sur mon art en quelques heures de réflexion, que moi après l’avoir pratiqué pendant quarante ans. Vous me prouvez, Monsieur, qu’il suffit d’être homme de lettres pour parler de tout...». L’opposition entre tenants de l’opéra italien et ceux qui prônaient sa francisation était alors à son pinacle.


C’est dans ce contexte que le pauvre Sacchini arrive donc en 1782 de Londres: qui souhaite approfondir ce contexte bouillonnant se réfèrera notamment à l’ouvrage détaillé d’Adolphe Jullien, La Cour et l’opéra sous Louis XVI: Marie-Antoinette et Sacchini, Salieri, Favart et Gluck, d’après des documents inédits conservés aux archives de l’Etat et de l’Opéra (1878). Un premier projet avait ainsi consisté à proposer à Sacchini de mettre en musique Alceste mais la comparaison avec l’ouvrage de Gluck aurait été inévitable et on préféra finalement lui demander de mettre en musique Renaud ou la suite d’Armide sur un livret qui avait déjà servi pour un opéra de Desmarets en 1722 (mais sans succès) et qui, dès les premières répétitions, attira quolibets et critiques (quelqu’un ayant notamment relevé que l’ouvrage «manquait de ragoût»). Ce n’est qu’avec l’appui personnel de la reine Marie-Antoinette, et contre la volonté même tant de Papillon de La Ferté, Surintendant des Menus Plaisirs, que de Morel, successeur de Dauvergne comme directeur de l’Opéra, que l’opéra put finalement voir le jour, la création ayant eu lieu le 28 février 1783 en présence de la souveraine. Entre-temps, les partisans de Gluck avaient réussi à monter Sacchini contre Piccinni alors que les deux hommes avaient été auparavant les meilleurs amis du monde (ils finiront par se réconcilier), un troisième parti apparaissant donc, les Sacchinistes, sorte de «Gluckistes mitigés» pour reprendre l’expression de Grimm dans sa Correspondance.


L’action de Renaud ou la suite d’Armide, tirée du fameux poème Jérusalem délivrée du Tasse, mêle agitations intérieure et extérieure d’Armide qui, en vérité, est la véritable héroïne de l’opéra. Hidraot, roi des Sarrazins, appelle ses troupes à continuer le combat alors que Renaud vient de faire tomber Jérusalem. Pourtant, celles-ci n’aspirent qu’à la paix, à tout prix; Renaud surgit alors en vainqueur et propose la paix aux Sarrazins à condition que ceux-ci abandonnent Jérusalem ainsi que tous leurs droits sur la ville sacrée. Adraste, un officier sarrazin, accepte le principe en échange de l’honneur des chevaliers chrétiens, ce à quoi consent également Hidraot, qui fait néanmoins contre mauvaise fortune bon cœur. Cette issue provoque l’ire d’Armide, magicienne et fille d’Hidraot, qui, souhaitant se venger de Renaud (qui l’a autrefois délaissée), exhorte les soldats à poursuivre la guerre afin que Renaud périsse. Elle offre d’ailleurs sa main à qui satisfera ses desseins. Devant une telle hostilité, Renaud quitte le camp ennemi et rassemble ses troupes afin de reprendre les combats; alors qu’une coryphée chante les bienfaits des plaisirs, Armide l’interrompt et lance ses troupes. Or, alors que la reprise de la guerre se prépare, Armide fait état de ses sentiments amoureux, intacts, pour Renaud, se lamentant de ce «funeste assemblage» que sont la fureur et l’amour mêlés. Alors que les guerriers d’Adraste ont attaqué Renaud par traîtrise, Armide, mue par ses sentiments amoureux, le défend et le libère; celui-ci, après avoir reconnu son ancienne amante, lui demande de l’oublier alors même qu’Armide vient de lui avouer son amour. Devant ce refus de renouer toute relation sentimentale, Armide change de ton et exhorte soudainement les soldats à tuer Renaud mais, dans une ultime volte-face, permet à celui-ci de s’enfuir et d’échapper ainsi à une mort certaine. Renaud, épaulé par Tancrède et Godefroi et suivi par l’ensemble de leurs troupes, se lance à l’assaut des Sarrazins qu’ils taillent en pièces. Devant cette tragédie, le roi Hidraot exhorte les divinités des Enfers à leur venir en aide, mais Zeus lui-même s’y oppose. En dépit des exhortations de sa fille (en vérité, dans le poème du Tasse, Armide est sa nièce), Hidraot se jette dans le combat mais se voit vaincu. Parcourant le champ de bataille, Armide constate l’ampleur du désastre et trouve Adastre mourant, qui l’informe du sort semblable qui attend son père, celui-ci ayant été fait prisonnier. Alors qu’elle demande au ciel de préserver la vie d’Hidraot quitte à prendre la sienne propre, elle voit son père attaché au char de Renaud qui conduit ses troupes revenues victorieuses des combats. Elle tente alors de se suicider mais Renaud arrête son geste au dernier moment, Hidraot l’informant avoir eu la vie sauve grâce à Renaud, alors que des chevaliers souhaitaient le mettre à mort. Renaud avoue à Armide tout l’amour qu’il lui porte et l’opéra se conclut dans la liesse générale, les amants se retrouvant, la paix étant par ailleurs conclue entre les deux camps.


Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Sacchini n’est pas un «petit maître»: sa musique est plus qu’efficace et jette, en plus d’une occasion, un pont entre le répertoire classique et les débuts du romantisme. Dès l’Ouverture, l’orchestre des Talens lyriques sonne formidablement, des bois aux cordes en passant par les cuivres et les percussions. On avait déjà pu déceler dans le récital «Tragédiennes» de Véronique Gens les affinités de Christophe Rousset avec ce répertoire. Inlassable défricheur du répertoire tant baroque – on se souvient de son formidable Bellérophon à Versailles – que classique ou préromantique – notamment La grotta di Trofonio de Salieri –, il trouve ici un terrain d’élection pour diriger cet opéra qui tourne définitivement le dos au monde de Rameau qu’il sait par ailleurs si bien servir. Sachant parfaitement jouer sur la théâtralité de la partition, il enlève l’œuvre en moins de deux heures sans jamais susciter le moindre ennui, permettant à l’orchestre d’être toujours réactif et de révéler sa fonction narrative. Car tel est bien ici le rôle primordial de l’orchestre: mimer, illustrer, raconter l’action dans ses moindres détails. Les flûtes et les percussions peignent au début du troisième acte le champ de bataille avec ses silences, ses râles et son spectacle de désolation, les cuivres illustrent, notamment dans les Marches, toute la solennité et le triomphe des parades militaires, les cordes pleurent avec Armide ses amours perdues...


Armide, parlons-en justement: c’est elle, cette magicienne emplie de sentiments contradictoires, le centre de l’intrigue, c’est par elle que tout passe et tout arrive. Ayant récemment tenu avec bonheur le rôle d’Ascagne dans Les Troyens, Marie Kalinine est ici superbe. Sa voix chaude et sa prononciation exemplaire sont autant d’atouts pour traduire tour à tour, avec une constante justesse, les tourments et changements d’humeur d’Armide. Ainsi, comment ne pas éprouver une intense émotion en entendant cet air du deuxième acte «Hélas! Vous le dirais-je?», où le désir de vengeance efface en un rien de temps la déploration et la douceur? Que dire également de l’air «Barbare Amour! Tyran des cœurs!» (acte II), dont Marie Kalinine fait pleinement ressentir les tonalités mozartiennes? Il convient par ailleurs de préciser que, même si c’est en l’occurrence surtout sa musicalité qui émerveille, la technicité de la jeune chanteuse (née en 1979) est également des plus remarquables comme dans cet air «Qu’ai-je appris!... Qu’ai-je fait!...» (acte III).


Parmi les principaux rôles masculins, le personnage de Renaud est très bien tenu par Julien Dran, notamment dans le dernier acte où sa voix, à la faveur de plusieurs duos, se mêle idéalement à celle d’Armide. Mais c’est peut-être Jean-Sébastien Bou (Hidraot) qui, finalement, retient le plus l’attention. Dès son premier air («Rappelé dans son camp»), le jeune baryton, qui nous a pourtant récemment déçu dans ce répertoire – il s’agissait de La Mort d’Abel de Kreutzer – est ici à son meilleur. Son chant reflète là aussi avec une exactitude presque palpable les différences d’humeur du roi Hidraot (belliqueux et vindicatif au premier acte, empli de reconnaissance et las des combats passés au troisième) et s’avère des plus expressifs. Pierrick Boisseau, qui tient à lui seul quatre rôles, est également un familier de ces opéras de la seconde moitié du XVIIIe siècle, lui qui vient de participer (dans le rôle de Mustafa) à la très belle gravure de Zanaida de Jean-Chrétien Bach. Ici, c’est tout spécialement dans le rôle d’Adraste qu’il faut l’écouter (l’air «Mon amour pour Armide» au début de l’acte I).


Dans leur rôle des deux coryphées, Julie Fuchs et Katia Velletaz sont également excellentes. La première, qui tenait déjà le rôle d’une coryphée dans Amadis de Gaule de J.-C. Bach avant d’incarner tout récemment le rôle-titre de Ciboulette de Reynaldo Hahn, conclut l’opéra avec un morceau digne des plus beaux airs de concert de Mozart. La seconde, habituée de ce type d’opéras comme l’illustre aussi bien sa participation à Pirame et Thisbée de Rebel et Francœur qu’à Céphale et Procris de Grétry, nous livre un air tout aussi magnifique à la fin du premier acte («Jeux folâtres, plaisirs charmants»), accompagnée avec toute la légèreté possible par les flûtes des Talens lyriques.


On soulignera enfin l’excellente prestation des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), à l’évidence très bien préparés par Olivier Schneebeli, les chœurs ayant il est vrai une grande importance tout au long de l’opéra.


On ne peut donc que recommander très chaudement ce livre-disques, résultat des efforts tant du Palazzetto Bru Zane que du CMBV ainsi que de l’ensemble des artistes ayant concouru à faire découvrir au public – Renaud ayant été donné en concert au même moment qu’était réalisé le présent enregistrement tant à Metz qu’à l’Opéra royal du Château de Versailles – un ouvrage de fort belle facture qui ne méritait nullement de rester ainsi dans l’ombre, voire dans l’oubli. Evidemment, on ne peut que souhaiter la multiplication de telles entreprises qui satisferont tout mélomane un tant soit peu curieux et qui, pas à pas, font revivre toute cette vie musicale du XVIIIe siècle, décidément fort fécond.


Le site de Pierrick Boisseau
Le site de Julie Fuchs
Le site de Katia Velletaz
Le site de Jennifer Borghi
Le site de Cyrille Dubois
Le site des Talens lyriques
Le site du Centre de musique baroque de Versailles et des Chantres du CMBV


Sébastien Gauthier

 

 

 

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