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06/28/2013
Tempus Perfectum n° 11: «Kaija Saariaho: l’ombre du songe»

Revue de musique sous la direction de Clément Mao-Takacs avec la collaboration de Sylviane Falcinelli, les contributions d’Aleksi Barrière, Olivier Class, Alexis Descharmes, Camilla Hoitenga, Clément Mao-Takacs, Osmo Pekonen et Antonin Servière, et des entretiens avec Kaija Saariaho, Anssi Karttunen, Susanna Mälkki, Ernest Martínez-Izquierdo et Esa-Pekka Salonen réalisés par Clément Mao-Takacs.
Symétrie – 66 pages, 12 €


Sélectionné par la rédaction





En avril, Kaija Saariaho, (née en 1952), était à l’honneur à la Cité de la musique, qui lui a ouvert un «Domaine privé» peu après la parution du onzième numéro de la revue Tempus Perfectum, qui lui est entièrement consacré. Internationalement connue et appréciée, elle est devenue, en mai, lauréate 2013 du grand prix «Polar Music», remis chaque année par l’Académie royale de musique de Suède.


La revue Tempus Perfectum, toujours prometteuse, tente de soulever le voile et de cerner le détail du miracle mystérieux qui entoure les secrets et les subtilités de l’œuvre de Kaija Saariaho, encore aujourd’hui en perpétuelle métamorphose. L’attrait de l’ensemble de ce onzième numéro est certain, et l’on salue l’engagement et la clarté remarquable des témoignages intimes de musiciens, de chefs d’orchestre et de réalisateurs qui s’investissent activement dans sa musique, et de confrères professionnellement attentifs. Les différents contributeurs tracent sa trajectoire musicale de Helsinki à Darmstadt, Sienne, Fribourg et Paris; ils déterminent à la fois l’étendue et les limites de l’influence de la musique spectrale et des techniques électroniques, rencontrées et recherchées à l’IRCAM, sur cet esprit sélectif et bien indépendant; ils révèlent les techniques instrumentales mises en jeu sans perdre la cohérence de la magie et de la poésie des sons; ils tâchent de pénétrer ses talents d’orchestratrice; ils scrutent sa relation à la France et à la Finlande et examinent en quoi la condition féminine d’une compositrice finlandaise vivant en France influe ou n’influe pas sur un travail de compositeur. Tous s’accordent pour souligner la qualité vocale de l’écriture de Saariaho. L’évidence vitale de son rapport à l’opéra et à l’oratorio s’impose et trois contributeurs se penchent sur les éléments essentiels de ses choix et de ses techniques et sur la collaboration étroite entretenue avec Amin Maalouf et avec un Peter Sellars plus inattendu, présenté par Aleksi Barrière.


Les talents du chef d’orchestre, pianiste et compositeur Clément Mao-Takacs, diplômé en littérature comparée, avaient déjà permis un regard privilégié sur l’oeuvre pianistique de Karol Szymanowski en relation avec les personnages littéraires et mythiques de son inspiration, dans la précédente livraison de Tempus Perfectum. Cette fois, il propose un parallèle tout à fait fascinant entre l’amour courtois et le paradigme de l’amour de loin en liaison avec l’opéra du même titre de Kaija Saariaho. Il laisse, toutefois, au mathématicien finlandais Osmo Pekonen le soin de dresser un fin parallèle entre la Passion du Christ et La Passion de Simone. En tant que directeur du onzième numéro, Mao-Takacs mène avec adresse les entretiens généreusement accordés par Esa-Pekka Salonen, Ernest Martínez-Izquierdo et Susanna Mälkki, par Anssi Karttunen, violoncelliste et ami, et par Kaija Saariaho elle-même, qui balaie les clichés entourant sa musique, tel celui du «feu sous la glace». Les idées relevant de l’importance de la nature, de la lumière et de la poésie sont retenues et affinées, cependant, la compositrice y ajoutant ses convictions autour de l’interpénétration des sens et son souci permanent d’«écrire une musique qui unisse le cœur et l’esprit». Les trois chefs d’orchestre s’expriment tout à fait différemment, mais les lignes directrices qu’ils dégagent de l’œuvre de Saariaho se rencontrent étroitement. Ils en observent la vocalité intrinsèque, le raffinement textural et instrumental, le naturel du flux ajoutés à une syntaxe qui lui est propre, un langage qui l’identifie et l’unicité de la forme de chaque œuvre qui «sans être consensuelle, [...] sait susciter l’envie et la curiosité [du public]» (Martínez-Izquierdo).


L’entretien avec Anssi Karttunen rejoint les contributions de Camilla Hoitenga, flûtiste, et d’Alexis Descharmes, violoncelliste, tous les trois interprètes fidèles, possédant une connaissance intime des partitions de Saariaho, qui bénéficient de l’intérêt technique et philosophique qu’elle réserve à l’instrument et au jeu. Ils offrent au lecteur un aperçu privilégié de compositions précises où, sans jamais être gratuites, abondent les complexités structurelles et les exigences techniques mais où le timbre prévaut le plus souvent sur le rythme, le statisme dynamique sur la pulsion en avant et la sensualité poétique sur l’absence de sentiment. Le compositeur Antonin Servière, confronté à l’attrait que les compositions de Kaija Saariaho exerce sur un large public, pose le problème de la postmodernité mais, comme en témoignent ses écrits, présentés également par Olivier Class, la compositrice n’évacue en rien la spéculation intellectuelle sur le langage musical quand bien même elle se soucie de son intelligibilité, ce, tout spécialement dans ses opéras écrits depuis l’an 2000. Son esthétique est unique et touche à l’universel.


Tempus Perfectum est à chaque fois bien plus qu’une revue. C’est un cahier d’écrits qui sont tout le contraire d’éphémères (voir ici). Cette fois, les contributions dressent un portrait détaillé de la personnalité de Kaija Saariaho et livrent avec acuité un examen minutieux d’un univers musical aux perspectives encore insoupçonnées. Elles donneront certainement le goût d’explorer cet univers, et, comme le souhaite la directrice de Tempus Perfectum, Sylviane Falcinelli, celui «de persévérer dans la connaissance de pages musicales dont le haut degré d’élaboration ne constitue jamais un frein à l’accès purement sensitif ou émotionnel».


Le site de Clément Mao-Takacs


Christine Labroche

 

 

 

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