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05/20/2013
«Les Incontournables. Olivier Greif, compositeur»: Nuits, démêlées – Greif, Amoyel, dix ans après... – Grief à Présences – Entre cimes et abysses – Œuvres pour violon et piano – Quatuors à cordes avec voix – Hommage à La Prée – L’Office des Naufragés – Les Chants de l’Ame – L’après Olivier Greif – Et la science – Entretiens avec ses amis

Julie Fuchs, Jennifer Smith (sopranos), Andrea Hill (mezzo), Alain Buet, Ivan Geissler, L’Oiseleur des Longchamps (barytons), Florent Brannens, Hélène Collerette, Nicolas Dautricourt, Jakub Haufa, Stéphanie Moraly (violon), Lise Berthaud (alto), Emmanuelle Bertrand, Henri Demarquette, Patrick Langot, Jérôme Pernoo, Paruyr Shahazizian, Agnès Vesterman, Dominique de Williencourt (violoncelle), Alice Ader, Pascal Amoyel, Henri Barda, Alphonse Cemin, Romain David, Géraldine Dutroncy, Alexandre Gasparov, Emile Naoumoff, Mary Olivon, Fuminori Tanada (piano), Nita Klein (récitante), Trio des Aulnes, Trio Schubert, Quatuor Ardeo, Quatuor Benaïm, Quatuor Voce, Ensemble Syntonia, Ensemble Accroche Note, European Camerata, Laurent Quenelle (direction), Orchestre national de France, Jean-Claude Casadesus (direction), Sinfonia Varsovia, Marc Minkowski (direction), Alice Ader, Pascal Amoyel, Patricia Aubertin, Nicolas Bacri, Henri Barda, Emmanuelle Bertrand, Emmanuel Bigand, Eduard Brunner, Jean-Claude Casadesus, Michel Christolhomme, Mildred Clary, Charles de Couëssin, Victor de Couëssin, Henri Demarquette, Henri Dutilleux, Brigitte François-Sappey, Alexis Galpérine, Jean-Jacques Greif, Olivier Greif, Philippe Hersant, Benoît Menut, Marc Minkowski, Yves Petit de Voize, William Powell, Gaëtane Prouvost, Thierry Pozzo, François et Marylis Raoul-Duval, Ultra Violet, Dominique de Williencourt, Etienne Yver (témoignages, commentaires), Anne Bramard-Blagny et Julie Blagny (réalisation)
Filmé entre 1999 et 2013 – 707’02
Douze DVD (disponibles séparément) ou deux coffrets de six DVD chacun ABB Reportages/Timpani 9F1216 (distribués par Naïve) – Pas de notice





Une somme! Sous le titre «Les Incontournables. Olivier Greif, compositeur», ABB Reportages publie sous l’égide de Timpani douze DVD (en deux coffrets de six, mais également disponibles séparément) qu’Anne Bramard-Blagny et Julie Blagny consacrent à celui qui, en raison de son retrait du monde pour s’adonner à la méditation durant une dizaine d’années, demeure peut-être l’une des figures les plus énigmatiques de la musique contemporaine française. Prochainement complétées par un livre d’entretiens (We are the Words) à paraître chez Delatour, ces près de douze heures d’images permettent de mieux faire connaissance avec sa personnalité – attachante – et son œuvre – profuse (plus de trois cents opus), surtout pour un homme qui a «passé beaucoup de temps à ne pas écrire». Initiative louable et prometteuse, car outre le relatif mystère qui l’entoure, Olivier Greif (1950-2000) tient une place à part dans la vie musicale, et pas seulement dans son propre pays, tant il est difficile de lui trouver de réels équivalents, même si l’on pense parfois à des créateurs à la fois originaux et mystiques tels George Crumb ou Arvo Pärt.


Le premier DVD, «Nuits, démêlées» (mots empruntés à Paul Celan), brosse un portrait sensible, au fil duquel se déroule la biographie du prodige, chouchou de la classe de piano de Lucette Descaves, devenu extravagant dandy à New York auprès de Dalí mais aussi de Berio (qui deviendra ensuite l’un des parrains de l’Association Olivier Greif). Disciple du gourou Sri Chimnoy et ayant adopté dans les années 1980 le prénom de Haridas («serviteur de Dieu»), il se réfugie dans un silence vécu comme une plénitude, avant, dans ses toutes dernières années, de revenir plus activement au monde et à la musique en maître respecté et admiré, notamment dans le cadre de la résidence d’artistes de l’abbaye de La Prée. Le film permet de mieux faire connaissance avec un compositeur volontiers combatif, défendant la liberté de l’interprète, plaidant pour la transgression de l’interdit de la musique tonale et pour l’intégration de musiques populaires, s’élevant contre le «conformisme des religions» pour adopter, comme Celan, une «métaphysique du refus», recherchant la révolution intérieure, «seule vraie révolution», et définissant sa mission en des termes forts: «Je veux rentrer dans les gens, je veux les charrier à terre», bouleverser, changer, transformer l’auditeur, au travers d’une sorte de catharsis.


S’il comprend des extraits d’un entretien inédit avec le compositeur datant de 1999, le film est essentiellement constitué à partir du matériau des onze autres DVD, en particulier du dernier, les treize «Entretiens avec ses amis». Présentés par ordre alphabétique, associés chacun à une œuvre du compositeur et ponctués d’archives photo- et vidéographiques, ils sont de durée (4 à 11 minutes) et d’intérêt inégal. Les hommages se succèdent, guère compassés: Henri Demarquette se souvient de celui qui aimait Piazzolla et qui avait inséré une citation d’un succès de Joe Dassin (Aux Champs-Elysées) dans son Concerto pour violoncelle; Philippe Hersant, qui l’a connu dès la classe de Lucette Descaves, dit avoir été ému de retrouver près de quarante plus tard un artiste ayant connu la même évolution que lui; Alexis Galpérine ne dissimule pas avoir été dubitatif face à sa recherche de la paix intérieure. Et, parmi ces «amis», figure aussi son frère Jean-Jacques, qui voit les conséquences de la présence défaillante du père dans la recherche de «pères de substitution» (Berio, Dalí, Sri Chimnoy). Très proche de Greif, avec lequel il partageait entre autres une passion pour les Sonnets de Shakespeare, le peintre Etienne Yver (né en 1955), dont une toile figure à l’arrière-plan de la couverture des DVD, ferme la marche.


La part quantitativement la plus substantielle de cet imposant ensemble réside dans les huit volumes qui restituent avec une sobre fluidité, en concert (dans des conditions pas toujours optimales) ou en studio, la musique de Greif: la matière est tantôt brute, tantôt éclairée par des images ou des témoignages, comme, dans le volume 2, celui de Pascal Amoyel, qui, dix ans après une conversation filmée avec le compositeur, évoque différents aspects de sa vie et de son œuvre, comme il l’a récemment fait pour ConcertoNet. Mais c’est ici que commencent les frustrations, car si l’on veut découvrir l’intégralité des pages dont il est question – deux sonates pour piano, les Quinzième «De guerre» (1975) et Vingt-deuxième «Les Plaisirs de Chérence» (1997), ainsi que Sadhana, in memoriam Olivier Greif (2009) d’Emmanuelle Bertrand –, il faudra acquérir le disque Triton proposant ce même programme par les mêmes interprètes.


De même, le volume 4 n’offre qu’une partition entière – le Quadruple Concerto «La Danse des morts» (1998), capté au Châtelet en décembre 2008 – et laisse l’auditeur sur sa faim pour la Sonate de Requiem (1979/1992), le Quatrième Quatuor «Ulysses» (2000) ou la Sonate «The Battle of Agincourt» (1996). Le volume 8 pousse la curiosité à son comble, se limitant à trois des dix mouvements achevés de L’Office des naufragés (1998), cycle capital de mélodies accompagnées par un ensemble instrumental (clarinette, quatuor à cordes et piano), dont le clarinettiste Eduard Brunner, à la fois commanditaire et dédicataire, relate de manière aussi savoureuse que son accent suisse allemand la tumultueuse création (partielle) à Berlin. Echo d’un autre album Triton sorti voici trois ans, le volume 5 regroupe l’essentiel de l’œuvre pour violon et piano – la Première Sonate (1967), inachevée, la vaste Troisième Sonate «The Meeting of the Waters» (1976), «in memoriam Dimitri Chostakovitch», et les Variations on Peter Philips «Galiarda dolorosa» (1977) – mais ne fait qu’effleurer la précoce Deuxième Sonate (1967), qui lui valut pourtant son premier prix de conservatoire et fut aussi sa première œuvre éditée et donnée en public, sous l’archet de Devy Erlih.


Quant au volume 6, s’il ne retient hélas que deux des cinq mouvements du Deuxième Quatuor (1996) sur trois sonnets de Shakespeare dans sa version pour voix d’homme, il réunit la version complète pour voix de femme, dans une splendide réalisation d’Andrea Hill et du Quatuor Ardeo, et le Troisième Quatuor «Todesfuge» (1998) avec voix de baryton. Le volume 7 («Hommage à La Prée»), centré sur la résidence d’artistes à laquelle Greif prit part à la fin de sa vie et qui s’attache depuis lors, sous l’impulsion de Dominique de Williencourt, à faire vivre sa musique, permet d’entendre, outre l’important Trio avec piano (1998), d’étonnantes mélodies de jeunesse – les Cinq Chansons enfantines (1961) et les Quatre Poèmes de Prévert (1963) –, Veni Creator (1977) pour violoncelle et piano ainsi que Solo from «Nô» (1981) pour violoncelle seul mais, de nouveau, se borne à un seul des six mouvements du Quatrième Quatuor.


Point de frustration, en revanche, avec le volume 3, restituant sans coupures trois moments captivants de l’édition 2009 du festival Présences: Le Tombeau de Ravel (1975) pour piano à quatre mains, les essentielles Lettres de Westerbork (1993), magnifiées ici encore par Andrea Hill, et le Concerto pour violoncelle «Durch Adams Fall» (1999), publié au disque l’année suivante chez Accord. Plus encore sans doute, le volume 9, dédié aux neuf Chants de l’Ame (1979/1995), se détache, puisqu’outre un très bel enregistrement intégral, par Julie Fuchs et Alphonse Cemin, de ce grand cycle (40 minutes), il présente trois saisissants extraits de la première, en 1996 à Gaveau, où l’on voit l’engagement, voire la violence, du compositeur qui accompagne lui-même Jennifer Smith au piano.


Les deux volumes restants élargissent la perspective, mais avec des fortunes très différentes.


D’une part, le volume 10 («L’après Olivier Greif») démontre que s’il n’a pas fait école, il n’en a pas moins inspiré ses confrères. Quatre créateurs et quatre œuvres le montrent ici de façon plus ou moins directe: «La Lande», dernière des vingt-quatre Ephémères (2000) pour piano d’Hersant, les deux derniers des quatre mouvements de la Sonate d’Yver (2003) pour deux violoncelles de Bacri, dédiée au peintre mais aussi à la mémoire de Greif, l’Adagio à la mémoire d’Olivier Greif (2005) pour violoncelle et piano d’Alexandre Gasparov (né en 1961) et, pour les deux tiers de la durée de ce DVD, le Trio in memoriam Olivier Greif (2008) de Benoît Menut (né en 1977), dans l’acoustique trop généreuse d’une église de Bangor et entrecoupé d’images de La Prée, où le compositeur finistérien fut lui aussi en résidence, comme le violoncelliste du Trio Schubert, Christophe Beau.



D’autre part, le volume 11 («Et la science») fait figure d’objet non identifié. A trop vouloir démontrer, il finit par prêter à sourire et, en tout état de cause, s’aventure très largement hors du sujet, car la musique de Greif, en l’occurrence le premier mouvement («De profundis») du Trio avec piano (1998), interprété par le Trio des Aulnes, n’est ici que l’objet, à son corps défendant, d’une expérience verbeuse et quasi canularesque. Certes, on ne peut qu’approuver Thierry Pozzo, professeur de neurobiologie et directeur de l’unité INSERM «Motricité-Plasticité» de l’université de Bourgogne, lorsqu’il décrit la musique comme un système de communication et constate que des sons peuvent créer une émotion. Certes, le protocole mis en place en 2010 à Dijon avec Emmanuel Bigand, professeur de psychologie cognitive et directeur du laboratoire d’étude de l’apprentissage et du développement (CNRS), a toutes les apparences du plus grand sérieux: pendant que la musique est jouée, huit caméras infrarouge enregistrent les mouvements de capteurs placés sur des articulations jugées stratégiques des musiciens (assis) et de trois groupes (adultes, étudiants en musique et enfants) comprenant chacun six auditeurs (debout, yeux fermés), «afin d’analyser les effets d’empathie émotionnelle», dans la lignée des travaux menés au XIXe par Etienne-Jules Marey. A la vision d’une dame saisie de tremblements incontrôlés sous l’effet d’un cluster, la perplexité laisse cependant place au fou rire, d’autant qu’on peine à comprendre pourquoi un appareillage aussi complexe et la partition de Greif sont nécessaires pour démontrer que la musique induit des effets physiologiques.


Mais si son résultat est contestable, par conséquent, pour un douzième seulement (volume 11), l’entreprise n’en doit pas moins être saluée pour ce qu’elle est avant tout: primordiale pour un tiers (volumes 1, 3, 9 et 12), réussie pour les sept douzièmes restants et globalement «indispensable», comme son titre l’ambitionne, tant elle sera désormais incontournable pour qui veut se familiariser avec Greif et son univers.


Le site de l’Association Olivier Greif
Le site d’ABB reportages
Le site d’Etienne Yver


Simon Corley

 

 

 

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