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05/13/2012
«Saltarello»
Hildegard von Bingen : Ave, generosa pour fiddle seul (arr. Knox)
Guillaume de Machaut : Complainte «Tel rit au matin au soir pleure» pour fiddle et percussion (arr. Knox)
John Dowland : Lachrimae: «Flow my teares» pour viole d’amour et violoncelle (arr. Knox)
Henry Purcell : Oedipus, Z 583: «Music for a while» pour viole d’amour et violoncelle (arr. Knox)
Antonio Vivaldi : Concerto pour viole d’amour en ré mineur, RV 393 pour viole d’amour et violoncelle (arr. Knox)
Garth Knox : Fuga libre pour alto seul
Kaija Saariaho : Vent nocturne pour alto et dispositif électronique: I. Sombres miroirs, II. Soupirs de l’obscur
Traditionnel : Black Brittany pour viole d’amour et violoncelle, arr. Knox de «Black is the colour» et «Leaving Brittany» (Johnny Cunningham) – Trois Danses anciennes pour fiddle et percussion (arr. Knox) – Pipe, harp and fiddle, trois airs irlandais pour fiddle et percussion (arr. Knox)
Garth Knox (fiddle, alto, viole d’amour), Agnès Vesterman (violoncelle), Sylvain Lemêtre (percussion)
Enregistré à Lugano (5 et 6 décembre 2009) – 60’22
ECM New Series 476 5401 (distribué par Universal)
Pendant sept ans membre de l’Ensemble intercontemporain et pendant sept ans altiste du Quatuor Arditti avant de se lancer en 1998 dans une carrière soliste, Garth Knox fait le pari osé mais réussi de présenter un programme d’apparence hétéroclite qui traverse sans heurt près de mille ans de l’histoire musicale européenne. Le lien commun qui en permet la cohérence, c’est Garth Knox lui-même, à commencer par son talent. Ses arrangements mettent en valeur le caractère propre des trois instruments qu’il pratique couramment en soliste et relèvent des époques qu’il se plaît le plus à explorer. Ses origines irlandaises et écossaises lui permettent une connaissance intime des airs populaires choisis. Il est le compositeur de Fuga libre (2008) et c’est à son intention que Kaija Saariaho composa Vent nocturne en 2006. Par le titre qu’il donne lui-même à son projet – «Saltarello», danse, pas, pulsation et rythme – il signale la nature même d’un programme – avec saltarello – qui rebondit d’avant en arrière d’époque en époque tout en rappelant opportunément que des rythmes de danse ou de complainte populaires ont largement contribué à l’évolution de la musique classique. Agnès Vesterman, soliste et chambriste, jusqu’en 2001 le violoncelle du Quatuor Arpeggione, et Sylvain Lemêtre, percussionniste souple et protéiforme, se joignent à Garth Knox pour former des duos originaux de haut niveau aux fascinantes sonorités multiples, souvent innovatrices.
Les deux œuvres originales du projet sont cependant pour alto seul. La thèse initiale de juxtaposition sans opposition explique peut-être pourquoi Flow my teares s’intercale entre les deux volets de Vent nocturne, mais c’est dommage. La composition de Kaija Saariaho représente déjà une dualité, une juxtaposition de trouble et de calme, de sons tremblés et étirés, de reflets clairs et sombres et de souffles captés et créés et les procédés instrumentaux et électroniques pour ce faire traversent l’œuvre entière, fort belle au demeurant. Composés à la mémoire de Ruth Inez Apthomas, les trois mouvements enchaînés de Fuga libre explorent l’alto dans tous ses états. C’est une fascinante démonstration de la haute compétence de Garth Knox mais, sous des airs de cadence semi-improvisée, l’écriture se révèle rigoureuse, dense et expressive, l’esthétique tout autant du son que de la note.
La viole d’amour évoque aussitôt le XVIIe siècle et la période baroque et c’est l’instrument que l’altiste choisit pour Purcell (1654-1698) et Dowland (1563-1626). Il lui confie la ligne mélodique – qu’il orne – et au violoncelle l’accompagnement. Son arrangement de Music for a while en reste à la limpidité des lignes simples mais celui de Flow my Teares garde toute la complexité du contrepoint de Dowland, les deux instruments – les cordes sympathiques de la viole d’amour à l’appui – sonnant comme le consort de violes des «Sept larmes» des Lachrimae de 1604, les pavanes qui se fondent sur la mélodie célébrissime. La même instrumentation s’impose pour le Concerto RV 393 de Vivaldi que l’arrangement de Knox réduit avec une attention toute particulière portée à la clarté de la structure bien que l’on puisse trouver le rôle du violoncelle trop confiné au continuo lors du deuxième mouvement. Garth Knox en livre une interprétation sans ostentation, merveilleusement virtuose.
Ce sont de nouveau les sons complexes de la viole d’amour qui font le charme de Black Brittany le violoncelle apportant le poids nécessaire. Il s’agit d’airs écossais auxquels les arrangements de Knox prêtent une certaine noblesse sans porter atteinte à la fraîcheur toute simple et l’apparente spontanéité du genre. Le fiddle médiéval s’impose pour les Trois danses d’un XIVe siècle sans doute italien – une istampita «Ghaetta» et deux vifs saltarellos aux rythmes marqués – mais ce violon particulier est aussi un instrument traditionnel celte et convient donc parfaitement aux trois airs irlandais que Knox «recompose» en une danse, curieusement intitulée Pipe, harp and fiddle, qui évolue d’un tempo lent à un rythme emporté. En associant le fiddle à la percussion, l’altiste recrée les sons et les climats de la musique ancienne avec beaucoup de vérité. Ainsi tombent les frontières entre le traditionnel et, par exemple, la complainte de Guillaume de Machaut arrangée pour la même instrumentation et préludée du poétique Ave, generosa de Hildegard au fiddle seul. L’interprétation piquante, riche et colorée de Knox et de son partenaire Sylvain Lemêtre est tout à fait captivante.
La complicité qui existe entre les trois musiciens ne peut que bien servir ce projet atypique qui, malgré les apparences à la lecture du programme, reste loin de tout mélange des genres malvenu. Hormis les deux œuvres originales, recommandables en soi, son intérêt doit sans doute beaucoup à la haute qualité de l’interprétation en général. Garth Knox est éblouissant.
Le site de Garth Knox
Le site d’Agnès Vesterman
Le site de Sylvain Lemêtre
Christine Labroche
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