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03/18/2012
Delphine Grivel : Maurice Denis et la musique

Symétrie, Collection Perpetuum mobile, 2011, publié avec le concours de la Région Rhône-Alpes et du Musée départemental Maurice Denis – 328 pages, 55 €





La musique touche en profondeur à tous les aspects de la vie de Maurice Denis, peintre, décorateur et théoricien (1870-1943), que ce soit sa vie intime, familiale, relationnelle, religieuse, inspirationnelle ou artistique. Delphine Grivel organise son riche ouvrage selon ce fil rouge essentiel, chaque chapitre examinant avec un souci de détail remarquable l’une des différentes facettes de ce prisme musical. Le mouvement général s’opère vers l’extérieur: l’homme d’abord, sa vie familiale, les amis dont il s’entoure, son patrimoine culturel et son regard personnel sur la musique et les autres arts. Ensuite viennent l’artiste et l’influence directe et indirecte de la musique, des musiciens, de la danse et de la poésie sur son œuvre. Il en résulte le théoricien d’aspiration symboliste qui estime que «musique, arts et religion s’interpénètrent dans une société qui engage les artistes à croiser leurs recherches et qui favorise l’expression du sentiment catholique dans la musique et les arts» (D. Grivel). L’œuvre et la pensée d’envergure de Maurice Denis exercent à leur tour une influence réciproque sur les musiciens avec qui il existe une analogie de pensée – instrumentistes, Blanche Selva en particulier, compositeurs, y compris d’Indy et René de Castéra, ou théoriciens, tel le compositeur Maurice Emmanuel.


Pour terminer, Delphine Grivel trace avec éclat le cheminement de deux compositeurs dont une œuvre en particulier relève de l’influence directe d’une œuvre précise de Maurice Denis. Le premier, c’est Olivier Messiaen, qui reconnaît chez Denis une semblable importance accordée à la foi et qui, bouleversé par une lithographie de l’artiste parmi ses illustrations pour les Fioretti – «Saint François d’Assise en prière et un ange jouant du violon» – en préserve le souffle inspirateur pour l’un des tableaux – «L’Ange musicien» – du deuxième acte de son unique opéra. Antoine Tisné (1932-1998), partageant le même sentiment religieux et touché en particulier par trois tableaux du peintre inondés d’ombre et de lumière qui illustrent dans une certaine mesure les aléas de son existence, s’en inspire pour composer un triptyque pour flûte et trio à cordes, Etudes d’après Maurice Denis. Derniers chapitres avant la conclusion, ils révèlent la musicologue, toujours aussi rigoureuse, au meilleur de sa forme stylistique.


Chaque chapitre pourrait se lire comme un article indépendant. Effectivement, l’ouvrage ne suit pas l’ordre chronologique. Il se présente par thème, chaque différent angle d’approche touchant à la vie entière du peintre. Le lecteur apprécie d’autant plus la présence en fin d’ouvrage d’un tableau synoptique, qui présente chronologiquement les étapes importantes de la vie de Maurice Denis mis en regard de sa création artistique et des événements de la vie musicale en France. Tout aussi utile, un index des œuvres artistiques et musicales permet, par exemple, d’accéder rapidement à la reproduction du tableau ou du panneau décoratif cité en éclairage du texte, dans l’un des quatre cahiers d’illustrations thématiques tout à fait précieux. En plus des notes en bas de page, les autres repères sont plus attendus mais ils comprennent des notices biographiques des plasticiens cités et une bibliographie soigneusement sélective et également thématique qui commence par les sources directes: correspondance, documents et archives familiales, exploités ici souvent pour une première fois.


Au fil des pages foisonnent les personnages influents de la société française aux différents époques de la vie du peintre – en somme, la «belle époque de la musique française» (1870-1940) – grâce aux relations personnelles ou professionnelles qu’il eut avec eux que ce soit à Paris, à Saint-Germain en Laye ou à la Schola cantorum ou pendant ses voyages – parmi les premiers, Albert Alain et sa famille et Ernest Chausson. Il croise musiciens, mécènes et peintres dans les salons parisiens (dont celui d’Henry Lerolle). Il se lie d’amitié avec Isadora Duncan et Natacha Trouhanova qui l’inspirent. Grâce à ses relations il reçoit des commandes publiques ou pour des hôtels particuliers (plafonds et décors muraux) qui lui permettent certaines de ses meilleures réalisations: Avril pour Ernest Chausson, La Légende de saint Hubert pour le baron Denys Cochin, ou encore le cycle de Psyché pour Ivan Morosov, par exemple. Ses fréquentations, ses amitiés et le contexte culturel de la Troisième République expliquent l’intérêt que le jeune «Nabi aux belles icônes» porte ensuite à la règle classique, aux attitudes de la danse grecque antique et de la danse libre, au régionalisme (d’abord breton), à l’art russe et à l’art de la Renaissance italienne, grâce aux séjours chez son ami Chausson à Fiesoli, à l’art sacré et à la musique liturgique authentique. La profondeur de ses réflexions se trouve dans ses écrits et jusque dans les propos croisés entre lui, Vincent d’Indy et Jacques Rouché lors de l’une de ses rares réalisations de décorateur scénique pour La Légende de saint Christophe.


Maurice Denis restera dans la mémoire collective tout au moins pour la frise de la coupole du Théâtre des Champs-Elysées – «Histoire de la musique» – qui révèle quelques traits principaux récurrents dans son œuvre – le symbolisme, l’influence du classicisme gréco-latin, une palette pastellisante ou un chiar’oscuro plus dynamique et les traits de ses proches et de musiciens admirés qu’il prête aux personnages de ses œuvres. L’ouvrage de Delphine Grivel (auquel le jury du Prix des Muses 2012 a décerné une mention) et son approche musicologique susciteront sans aucun doute un intérêt plus approfondi pour ce peintre mélomane et pour son action pour la musique, et une reconnaissance plus juste de son œuvre en général et de l’homme, sa pensée et ses idéaux dont le plus saillant est la conviction de l’existence de correspondances entre les arts et, en ses propres termes, de «correspondances mystérieuses entre les moyens plastiques dont l'art dispose et les sentiments qu'il veut exprimer».


Delphine Grivel est docteur en musique et musicologie à l'université Paris IV-Sorbonne, spécialisée dans le rapprochement musique-arts plastiques.


Christine Labroche

 

 

 

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