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01/08/2012
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 10, opus 93
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Snégourotchka: Suite, op. 12: «Mélodrame» (#)
Nikolaï Rimski-Korsakov : La Légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia: «Hymne à la nature» et «La Bataille de Kerjenets» (¤)

Orchestre symphonique d’Etat d’URSS, Evgeny Svetlanov (direction)
Enregistré en concert au Royal Albert Hall de Londres (21, 22 (#) et 30 (¤) août 1968) – 62’17
ICA Classics ICAC 5036 – Notice de présentation en français, anglais et allemand





 Sélectionné par la rédaction


Le label ICA Classics, qui poursuit son exhumation des archives sonores (voir les récents volumes consacrés à Mitropoulos, Steinberg et Solti), a déniché une vraie pépite. Editées pour la première fois en CD, ces captations londoniennes d’août 1968 sont l’écho d’une tournée de l’Orchestre symphonique d’Etat d’URSS, conduit par Evgeny Svetlanov (1928-2002) qui en est le chef principal depuis deux ans seulement (... mais pour plus de trente années encore).


Si le Tchaïkovski et les Rimski-Korsakov – des bis fervents et idiomatiques – demeurent trop brefs pour documenter l’interprète de premier plan qu’en fut Svetlanov, le prix de l’album réside dans la Dixième Symphonie de Chostakovitch, une œuvre composée quinze ans plus tôt et dont une petite partie du public londonien couvre les premières notes par des cris de protestation. En ce 21 août 1968, l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie place, en effet, les Proms dans la tourmente de la guerre froide. Dans la notice, Colin Anderson rapporte un témoignage de l’époque: «nous nous sommes demandés si, étant données les circonstances, nous devions nous rendre au concert. A l’Albert Hall, qui était comble, l’atmosphère était électrique, il y avait des spectateurs qui scandaient "Rentrez chez vous!" et d’autres qui voulaient les faire taire. (…) Quelques individus essayaient d’organiser une sorte de protestation, mais il y avait sans doute plus de gens qui criaient que la musique devait primer. (…) Les instrumentistes n’avaient pas l’air de comprendre ce qui se passait».


Avec le recul du temps, la tentation est grande de lire de nombreux arrière-plans dans l’interprétation des musiciens soviétiques. Svetlanov donne son unité, dans le premier mouvement, à ce qui résonne comme une succession d’épisodes tragiques, faisant de ce Moderato une pantomime de la dévastation: les hurlements des cordes – tels ceux d’un peuple martyrisé – sont des cris de douleur davantage que des tutti, les phrasés esseulés et brutalement interrompus sont ceux de petites âmes perdues dans l’immensité du monde, les bois ont la couleur sinistre du désespoir et du drame, la flûte siffle à la mort et au crime, les trompettes – à la puissance fébrile, si caractéristique des orchestres soviétiques – font se dresser les cheveux sur la tête. En réalité, tout figure le combat et la souffrance dans cette interprétation: depuis les syncopes de l’Allegro (qui trouve, en quatre minutes et une vingtaine de secondes, le rythme de la démence organisée) jusqu’aux fresques contrastées des deux derniers mouvements (des pizzicatos comme des piétements de sabots sur un champ de bataille dans l’Allegretto, le rythme mitraillant de la danse macabre des moujiks dans l’Allegro conclusif...). Svetlanov entraîne tous les pupitres dans un maelstrom de la terre et du sang.


Une version inclassable – qui ne supplante pas les références signées Mravinsky, Kondrachine, Sanderling, Karajan, Haitink… –, mais un témoignage à connaître absolument – petit morceau de l’histoire musicale du siècle dernier.


Gilles d’Heyres

 

 

 

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