About us / Contact

The Classical Music Network

CD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

05/25/2011
Gioacchino Rossini : Il viaggio a Reims

Sylvia McNair (Corinne), Lucia Valentini Terrani (Marquise Melibea), Luciana Serra (Comtesse de Folleville), Cheryl Studer (Madame Cortèse), Raúl Giménez (Cavalier Belfiore), William Matteuzzi (Comte de Libenskof), Samuel Ramey (Lord Sidney), Ruggero Raimondi (Don Profondo), Enzo Dara (Baron de Trombonok), Lucio Gallo (Don Alvaro), Giorgio Surian (Don Prudenzio), Guglielmo Mattei (Don Luigino), Nicoletta Curiel (Madeleine), Barbara Frittoli (Delia, Modestina), Claudio Otelli (Antoine), Bojidar Nikolov (Zéphirin, Gelsomino), Rundfunkchor Berlin, Dietrich Knothe (chef de chœur), Berliner Philharmoniker, Claudio Abbado (direction)
Enregistré en concert à la Philharmonie de Berlin (13-19 octobre 1992) – 135’06
Coffret de deux disques «The Sony Opera House» 88697855682





Si le choix est complexe pour déterminer quelle peut être la meilleure version de tel ou tel opéra, Il viaggio a Reims ossia l’albergo del Giglio d’Oro (Le Voyage à Reims ou L’Auberge du Lys d’or) ne pose pas ce problème puisque le choix se résume entre Claudio Abbado, Claudio Abbado et... Claudio Abbado! En effet, c’est au chef milanais, ardent défenseur de l’œuvre de Gioacchino Rossini (1792-1868), que l’on doit la redécouverte de cet opéra en un seul acte que l’on a longtemps cru perdu et qui a resurgi à la faveur de travaux musicologiques ayant permis de compléter la partition du Comte Ory (1828) qui, de la sorte, faisaient renaître cet immense succès de l’époque. Immédiatement créé par Claudio Abbado dans le cadre du Festival Rossini de Pesaro (en août 1984) à la tête de l’Orchestre de chambre d’Europe dans une mise en scène de Luca Ronconi, il fut, dans le même temps, enregistré et publié dans un coffret (publié chez Deutsche Grammophon) immédiatement salué par une critique unanime. La production fut reprise et semble-t-il filmée (de larges extraits peuvent en effet être visionnés sur Youtube) en août 1992, toujours au cours du Festival de Pesaro, avec à peu près la même distribution qui, quelques semaines plus tard, devait interpréter Il viaggio a Reims en version semi scénique, à la Philharmonie de Berlin, Abbado dirigeant alors l’illustre phalange. C’est de ces représentations que le présent coffret porte témoignage. Soulignons enfin qu’il existe également un enregistrement vidéo du Voyage à Reims avec une équipe de chanteurs en partie identique aux équipes tant de Pesaro que de Berlin, capté à l’Opéra de Vienne, Claudio Abbado dirigeant alors l’orchestre de l’Opéra. On ne peut que souhaiter sa prochaine réédition en DVD tant la verve, la truculence, la joie communicative transpiraient dans cette version de très haute volée, jadis diffusée à la télévision française.


Dans ses Notes d’un dilettante, Stendhal écrivait, après avoir entendu la création d’Il viaggio a Reims le 19 juin 1825 au Théâtre Italien: «Voici enfin un opéra tel que depuis longtemps nous le demandons à Rossini (…) Cet opéra est une fête (…) Au total, cet opéra a fait le plus grand plaisir». Effectivement, tout y concourt dans ce qui devait être le dernier opéra italien de Rossini. L’histoire raconte comment plusieurs personnages se retrouvent dans un hôtel, Le Lys d’or, près de Plombières, pour se rendre à Reims au couronnement de Charles X. On y croise aussi bien la Comtesse de Folleville, parisienne férue de mode vestimentaire, que Don Luigino, son cousin, l’inénarrable Baron de Trombonok, Allemand féru de musique, ou Don Profondo, homme de lettres italien, un général russe, un lord anglais ou un grand d’Espagne! Pendant que Don Profondo, également amateur d’art, discute avec Lord Sidney (l’Anglais) pour savoir quel type d’antiquités mérite d’être acheté Outre-Manche, quelques histoires de cœur se nouent (la jeune Corinne étant notamment l’objet des assiduités du Chevalier Belfiore, bellâtre français qui se croit irrésistible) jusqu’au moment où tous apprennent avec stupeur qu’ils ne pourront assister au sacre, faute de diligence libre. Passé le désespoir, la Comtesse de Folleville les invite alors tous à Paris, chez elle, pour prendre part aux festivités qui auront lieu à l’occasion du Sacre, l’opéra se terminant par un banquet au cours duquel est porté un toast unanime au nouveau roi de France.


L’intrigue, délirante, est surtout un formidable prétexte pour entendre chanter toute une galerie de personnages hauts en couleurs: et quels chanteurs! On sait que, dans Rossini, il faut souvent s’amuser et, à l’écoute de cet enregistrement – quelques rires ou bruissements du public le laissent d’ailleurs deviner – nul doute que toute l’équipe prend un immense plaisir à déclamer telle ou telle scène.


Commençons par l’excellente prestation d’un habitué des rôles bouffe chez Rossini, à savoir Enzo Dara dans celui du Comte de Trombonok: sa verdeur, sa gouaille pourrait-on dire, sont admirables. Il campe ainsi un extraordinaire maître de cérémonies dans le fameux ensemble de la scène 25 où, sous sa houlette, plusieurs toasts sont portés, donnant l’occasion à chacun de chanter une chanson ou un air en l’honneur du nouveau roi: hymne allemand pour Trombonok, God save the King pour Lord Sidney, une polonaise pour Mélibea, une tyrolienne pour Don Profondo et Madame Cortèse... Complice depuis toujours de Claudio Abbado et grand habitué de Rossini (son Mustafa dans L’Italienne à Alger est resté célèbre), Ruggero Raimondi incarne un magnifique Don Profondo (rôle qu’il a endossé dès la re-création de l’opéra à Pesaro en 1984), dont la prestation la plus extraordinaire est sans aucun doute l’aria où il fait l’inventaire de toutes les affaires qui appartiennent aux uns et aux autres en prévision du voyage à Paris (scène 16). Sa diction parfaite, son sens de la comédie sont autant d’atouts pour une partition dont on devine sans peine la complexité. Si les prestations de Raúl Giménez, tout particulièrement dans la scène 15 où il est le seul à intervenir en duo avec Corinne, et de Giorgio Surian (Don Prudenzio) doivent également être soulignées, on dira enfin un mot sur Samuel Ramey. Lord Sidney plein de noblesse et de maintien, il offre une voix puissante et altière qui charme (la scène 12, accompagné par la flûte rêveuse d’Andreas Blau) et fait rire à la fois, notamment lorsqu’il avoue ne connaître qu’une chanson, God save the King.


Les chanteuses sont peut-être globalement un peu moins bonnes que dans l’enregistrement de 1984 mais, néanmoins, quelle équipe là aussi! Si Cheryl Studer, alors en pleine possession de ses moyens, impressionne par sa dextérité (l’air «Or state attenti; badate bene» à la scène 3), on admire surtout Luciana Serra qui habite pleinement le personnage fantasque de la Comtesse de Folleville (ses interventions au cours de la scène 7 sont étincelantes). Egalement grande triomphatrice de cet opéra, le personnage de Corinne (incarné ici avec talent par Sylvia McNair), qui permet à l’auditeur de goûter un moment de poésie absolue dans l’air «Arpa gentil, che fida compagna ognor mi sei», accompagnée par la merveilleuse harpe de Charlotte Sprenkels.


Mais, c’est essentiellement dans les ensembles vocaux que Rossini excelle pour susciter une joie totale, sans d’ailleurs que l’on entende trop artificiellement la technique requise pour parvenir à de tels résultats. Qu’il s’agisse de la conclusion de la scène 11 («Simbol di pace e gloria») ou, surtout, de la scène 19 intitulée elle-même «Gran Pezzo Concertato a 14 Voci», «Grand morceau d’ensemble à 14 voix» (passage où la déception de ne pouvoir aller à Reims disparaît rapidement à la suite de l’offre faite par la Comtesse de Foleville d’inviter tout le monde chez elle, à Paris), le résultat est exceptionnel par sa vie, sa spontanéité et, encore une fois, l’évident plaisir de faire de la musique ensemble.


Ce plaisir et l’excellence du résultat ne seraient naturellement pas aussi évidents s’il n’y avait, non dans la fosse mais à sa place habituelle au centre de la Philharmonie, l’Orchestre philharmonique de Berlin pour qui Rossini ne fait tout de même pas figure de pain quotidien. Conduit d’une main de maître par Claudio Abbado, il distille de superbes couleurs et, même s’il fait preuve, en quelques endroits, de moins de réactivité et de souplesse que l’Orchestre de chambre d’Europe dans l’enregistrement Deutsche Grammophon, s’affirme comme un orchestre aux prouesses (les bois!) conformes à sa légende.


Même si la présente version s’avère quelque peu inférieure à celle réalisée par Abbado chez Deutsche Grammophon, on n’a aucune véritable raison de se priver de cet enregistrement réédité en collection économique (et donc sans reproduction du livret) qui, comme le dit le Baron Trombonok lui-même (scène 11), illustre parfaitement le fait que «Si, di matti une gran gabbia Ben si può chiamar il mondo; Forse appunto perché è tondo, testa quadra non vi sta» («Oui, on peut appeler ce monde Une grande cage de fous; Et peut-être parce qu’il est rond, On ne peut y trouver une tête carrée»).


Sébastien Gauthier

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com