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12/08/2010
Réforme et Contre-Réforme

Ouvrage multilingue (français, anglais, allemand, néerlandais) de 204 pages de Jérôme Lejeune et livret de huit disques – 622’58
Ricercar RIC 101 (distribué par Harmonia mundi)





Un an après son encyclopédique Guide des instruments anciens, Ricercar récidive dans le genre en publiant aujourd’hui un coffret, réunissant livre et disques, consacrés à la musique à l’époque de la Réforme et de la Contre-Réforme.


On connaît au moins deux tableaux qui font apparaître Martin Luther (1483-1546) en train de jouer du luth, l’un avec son épouse Catherine de Bora et son disciple Philippe Melanchthon, l’autre avec le peintre Lucas Cranach et, toujours, Philippe Melanchthon. Loin d’être des images d’Epinal, ces toiles nous rappellent que la Réforme a considérablement influencé le monde des arts, y compris donc celui de la musique, et que Luther en a été le principal artisan. Vecteur privilégié pour répandre la parole divine, la liturgie de cette époque va subir deux évolutions fondamentales: d’une part, Luther souhaite que les messes soient chantées en allemand (langue vernaculaire) et non plus en latin (cette évolution est consommée à partir de 1526); d’autre part, il souhaite que la messe elle-même soit rénovée dans son agencement. C’est dans ce contexte de remise en cause et de recherche d’une nouvelle façon d’exercer sa foi que Luther va inventer ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui le cantique allemand, alliant des paroles compréhensibles par tous et une mélodie relativement simple, autant d’éléments qui permettent au fidèle de se remémorer facilement le message destiné à louer le Seigneur. Lors des offices, on voit ainsi se développer les «livres de chants» (Gesangbücher), les églises prenant par ailleurs l’habitude d’afficher sur leur porte les chants qui seront exécutés lors de telle ou telle cérémonie: loin d’accompagner la messe, la musique en fait désormais partie intégrante. La musique revêtant une importance croissante aussi bien pour la religion que pour la société tout entière, on voit la cantate faire son apparition au début du XVIIIe siècle, en attendant d’être magnifiée par Johann Sebastian Bach, ainsi que les ensembles d’instrumentistes (généralement formés d’étudiants), les célèbres Collegium musicum, fleurir dans la moindre ville. Même si ce mouvement connaît une évolution contrastée en Europe compte tenu de la ferveur religieuse du Nord et de la relative désertification des églises au Sud, force est donc de constater que la Réforme aura finalement durablement imprimé sa marque dans la manière de faire et de concevoir la musique.


A l’image de ce qui avait été fait dans le magnifique Guide des instruments anciens, le livre, rehaussé d’une très belle iconographie sur papier glacé, est accompagné d’une illustration sonore dont la diversité et l’excellence des interprétations méritent d’être immédiatement soulignées; précisons également que, à quelques secondes près pour l’un d’entre eux, chacun des huit disques présentés dépasse les 75 minutes, ce qui n’est pas si fréquent si l’on se réfère au minutage habituellement pratiqué! Sans naturellement prétendre à l’exhaustivité, l’ensemble rassemblant plus de 120 œuvres complètes ou extraits musicaux provenant de différents éditeurs (citons notamment Ricercar, Accent, Harmonia mundi, Alpha, ...), on peut néanmoins embrasser ce vaste panorama au cours d’un voyage chronologique qui, compte tenu de la thématique, débute tout naturellement au moment de la Réforme luthérienne.


On jettera une oreille attentive à l’air composé par Luther lui-même, Ein feste Burg ist unser Gott, qui témoigne non seulement de son goût réel pour la musique (il aurait composé pas moins de trente-huit cantiques dont vingt-quatre sur la seule période 1523-1524) mais également de la forme polyphonique adoptée par Luther qui, aidé dans cette besogne par des amis musiciens (on citera notamment Johann Walter dont on peut écouter le très beau Wir glauben all’ an einen Gott), révolutionna ainsi la forme musicale pour les décennies et même les siècles à venir. Forme orale, forme instrumentale également: ainsi, on peut entendre quelques pièces qui, bien que dotées d’un titre, ne sont pas chantées mais jouées par des cromornes (Mein himmlischer Vater de Caspar Othmayr), un orgue portatif (Vater unser im Himmelreich d’un certain Johann Lorentz) ou un luth, dans un style galant (qui, auparavant, avait écouté Estans assis aux rives aquatiques de Claude Goudimel?). Plus que tout autre pays, c’est la Grande-Bretagne qui fut particulièrement réceptive à la nouvelle religion prônée par le moine Luther: aussi ne doit-on pas s’étonner de la richesse polyphonique des œuvres de William Byrd ou, surtout, de Thomas Tallis (1505-1595) présentées ici. Si Tunes for Archibishop Parker’s Psalter met immédiatement en valeur l’harmonie des voix, Spem in alium frappe par son ampleur sonore et son sens du merveilleux qui se développent au fur et à mesure de l’œuvre, la pièce Ye Sacred Muses privilégiant davantage de son côté une superbe viole de gambe, la voix restant volontairement en retrait.


Le troisième disque, consacré à l’accueil de la Réforme dans les Pays-Bas et dressant un tableau musical de la France jusqu’à la révocation de l’Edit de Nantes, est dominé par quelques pièces pour orgue (le Salve Regina de John Bull ou le très beau et très travaillé Fantasia in ecco de Jan Pieterszoon Sweelinck) et le magnifique Dixit Dominus pour le Port Royal de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704). Cette époque de l’après-Réforme et, donc, des débuts de la Contre-Réforme promue par l’Eglise catholique connaît une profusion de pièces chantées qui passent, selon les occasions et les messages distillés (disques 4 et 5 notamment), de la joie la plus grande (superbe Magnificat a 8 de Matheo Romero) à la mélancolie intimiste la plus profonde comme l’illustre le célébrissime Miserere de Gregorio Allegri (1582-1652). De même, on balance entre la douceur et la polyphonie rigoureuse (le «Gloria» tiré de la Missa sopra la Monica de Girolamo Frescobaldi) et la profusion des couleurs qui nous fait basculer aux avant-gardes du monde de l’opéra: à cet effet, on écoutera les scènes 7 et 8 du deuxième acte de la Rappresentatione di anima et di corpo composé par Emilio de Cavalieri (1550-1602). S’ils peuvent être traités séparément, l’alliance des voix et des instruments trouve également quelques occasions d’être magnifiée, qu’il s’agisse des chants féminins accompagnés par des flageolets (la première scène de Jephté, oratorio composé en 1649 par Giacomo Carissimi, considéré comme «l’orateur musical» de l’Italie par Johann Matheson) ou des voix introduites par de puissantes trombas (Pan divino de Francisco Guerrero). Enfin, et même s’il ne s’agit pas là du cœur de cible du recueil présenté par Ricercar, on peut également écouter quelques pièces purement instrumentales à l’image d’une très puissante Toccata pour orgue de Frescobaldi.


Les trois derniers disques illustrent pour leur part un répertoire que nous connaissons beaucoup mieux puisque, dédiés à l’importance du choral protestant, ils donnent à entendre des œuvres composées aussi bien par Bach que par ses fils, par Heinrich Schütz (1585-1672) que par Johann Pachelbel (1653-1706), par Nicolaus Bruhns (1665-1697), dont Ricercar a récemment donné une anthologie de tout premier ordre (voir ici), que Matthias Weckmann (1616-1674). Au sein de ce vaste ensemble ô combien diversifié, on retiendra en tout premier lieu le magnifique In dulci jubilo de Michael Praetorius (1571-1621), où des voix glorieuses (un peu à la manière de ce que fera plus tard Heinrich Biber) se mêlent aux trombas éclatantes: une vraie réussite. Réussite également que le Halt, was du hast de Johann Michael Bach (1648-1694), beau-père du Cantor de Leipzig: le motif psalmodié par les voix révèle, à côté d’un instrumentarium des plus limités, une vélocité et une recherche mélodiques tout à fait étonnantes. Le dernier disque est, quant à lui, dominé par deux œuvres superbes: la cantate Christ lag in Todesbanden de Johann Pachelbel (1653-1706) et la très belle cantate Hemmt eure Tränenflut de Bruhns.


Une fois cette longue évolution achevée, portons un regard en arrière sur ces deux siècles de musique écoulés: nul doute que l’austérité à laquelle on associe généralement la Réforme protestante domine l’ensemble de ces œuvres et de ces approches musicales mais, pour autant, que de ferveur, que d’innovations musicales, que d’imagination dans l’art de louer le Seigneur! Ainsi, de même que l’on pouvait suggérer, il y a un an, d’acheter l’anthologie des instruments anciens à l’occasion des fêtes de Noël, voici une formidable idée de cadeau qui viendra combler toute personne souhaitant s’aventurer dans des sentiers artistiques qui demandent encore très largement à être défrichés.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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