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06/29/2010
Christoph Willibald Gluck : Orphée et Eurydice
Nicolai Gedda (Orphée), Janine Micheau (Eurydice), Liliane Berton (l’Amour), Chœurs du Conservatoire de Paris, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, Louis de Froment (direction)
Enregistré à Paris (1957) – 106’09
Album de deux disques Hänssler Profil PH09021 (distribué par Intégral) – Présentation en allemand et en anglais





Giulietta Simionato (Orfeo), Sena Jurinac (Euridice), Graziella Sciutti (l’Amore), Chœurs de l’Opéra de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, Herbert von Karajan (direction)
Enregistré à Salzbourg (1959) – 82’16
Coffret de deux disques Opera d’Oro OPD-1312 (distribué par DistrArt) – Présentation en anglais





Juan Diego Flórez (Orphée), Ainoha Garmendia (Eurydice), Alessandra Marianelli (l’Amour), Chœurs de l’Opéra de Madrid, Orchestre Symphonique de Madrid, Jesus López-Cobos (direction)
Enregistré à Madrid (2008) – 104’48
Coffret de deux disques Decca 478 2197 (distribué par Universal) – Présentation et livret trilingues







Trois Orphée, sur cinquante ans : de quoi suivre l’évolution de l’interprétation du chef-d’œuvre de Gluck, même si nous entendons deux fois un ténor, dans la version française de Paris, et une mezzo, dans la version Berlioz traduite en italien. Le disque de Nicolai Gedda, enregistré dans la foulée des représentations aixoises, entra aussitôt en concurrence avec celui de Léopold Simoneau. Louis de Froment, à vrai dire, n’est pas Hans Rosbaud qui avait toujours des grands classiques une lecture très moderne pour son temps – comme un certain Pierre Monteux, maître d’œuvre pour RCA, en 1957 aussi, d’un bel Orphée de Berlioz en italien (avec la grande mezzo Risë Stevens). Cela dit, de Froment a du métier, il connaît son affaire, a un certain sens du théâtre. Les baroqueux, évidemment, pousseront des cris d’orfraie : lent, lourd, daté. Laissons-les crier : on ne va pas demander au pauvre de Froment de faire du Christie, du Gardiner ou du Minkowski. Encore une fois, ce n’est que question de pointure : cet honnête artisan n’a pas sa place dans les annales de la direction d’orchestre, à l’inverse de Monteux et de Rosbaud. Deux ans plus tard, à Salzbourg, Karajan ne s’avère pas plus avant-gardiste. Mais il est Karajan et ça change tout. La lenteur, les rubatos romantiques, l’effectif, les coupures – regardez le minutage… -, à commencer par celle de l’Ouverture ? Tout cela passe, parce que l’on sent le souffle et le pathos de la tragédie, parce que la grandeur n’est pas lourdeur, parce que le chef, à l’époque, était un des plus grands chefs de théâtre qui soit. Et l’on ne va tout de même pas se plaindre de la Philharmonie de Vienne – ces cordes-là valent bien tous les instruments d’époque ! Tant pis pour le son… Cinquante ans après, à Madrid, on attendait de Jesus López-Cobos sinon une révolution, du moins une synthèse entre la tradition et la philologie, comme nous en offrent beaucoup de chefs aujourd’hui. Il n’en est rien : à la tête d’un orchestre seulement professionnel, il fige Gluck dans un classicisme lisse et sans tension, suscitant très vite l’ennui, n’allant guère plus loin, malgré le confort moderne, que de Froment. Un Muti, dira-t-on, suit la même voie : oui, mais il n’est pas Muti, dont on se rappelle le bel Orphée de 1982 (EMI) dans la version viennoise et qu’on attend cet été à Salzbourg.


Heureusement, l’Orphée madrilène s’appelle Juan Diego Flórez… qui ne nous séduit pas comme il vient de nous séduire, à Garnier, dans La Donna del lago. Malgré des incursions parfois heureuses ici ou là, le ténor péruvien reste avant tout un ténor rossinien. Certes, l’émission est toujours aussi souple, le timbre aussi charmeur, l’aigu aussi délié, la vocalise – il risque évidemment « L’espoir renaît » à la fin du premier acte – aussi électrisante. Il n’empêche : son français châtié, ses nuances superbes ne suffisent pas à faire de lui un Orphée de Gluck : il lui manque la vaillance, la restitution à la fois exacte et habitée de l’esprit du texte à travers la déclamation, bref tout ce qui fait le grand style français. On n’entend que du beau chant. On le trouve, de plus, médiocrement entouré : les dames n’ont rien d’attirant et font pâle figure dans une discographie très riche – et dans des rôles vocalement sans histoire. Et voilà du coup qu’on revient, pour un Orphée ténor, à la version de Froment ! Nicolai Gedda a encore, à l’époque, un joli timbre, que durciront ensuite des rôles plus corsés, sans parler d’une souplesse d’émission exemplaire, lui permettant de négocier les aigus impossibles d’Orphée – pas de « L’espoir renaît » cependant, qu’il osera à Garnier dix-huit ans plus tard – certes sans l’insolente facilité de Flórez. Il entretient surtout avec le style français de profondes affinités, en particulier sur le point de la déclamation : l’Orphée de Gluck est là, cet Orphée que Flórez chante sans l’incarner, plaintif au début, héroïque aux Enfers, extasié au Champs-Elysées, tragiquement souffrant ensuite. Simoneau, que certains lui préfèrent pour la douceur de la voix, la suavité du chant, n’est pas assez dramatique. Passons sur Liliane Berton, moins Amour que soubrette pointue, pour saluer Janine Micheau, très française, sans doute un peu surannée, mais parfaite incarnation d’une certaine école – ceux qui la trouvent inintelligible devraient réviser leur jugement. La version Karajan, elle, bénéficie d’une distribution digne du chef, se plaçant du coup sans réserve au sommet de la discographie. Grand mezzo d’opéra, au vibrato assumé, Giulietta Simionato ne confond nullement Orphée avec Amnéris – qu’elle enregistre la même année avec Vienne et le chef autrichien -, incarnant pourtant le héros avec une intensité douloureuse, sans user incongrument du registre de poitrine – rien à voir avec Baltsa chez Muti - ni d’effet vériste, d’une noblesse sobrement tragique, d’une tenue superbe, égalant Gedda dans la contemplation extasiée des Champs-Elysées. Une grande, vraiment, qui vient de nous quitter à presque cent ans. Graziella Sciutti est évidemment charmante en Amour, rien moins que soubrette, elle. Quant à Sena Jurinac, peut-on rêver plus belle Eurydice, plus lumineuse, plus vibrante, plus stylée ?


On laisse Lopez-Cóbos, malgré Flórez. On prend de Froment, pour Gedda. On prend Karajan, pour tout.


Didier van Moere

 

 

 

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