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04/08/2010
Georges Enesco : Sonate n° 3 pour violon et piano «Dans le caractère populaire roumain», opus 25
Bohuslav Martinů : Five Madrigal Stanzas for violin and piano, H. 297
Vasilije Mokranjac : Sonata za violinu i klavir G-mol

Lorenzo Gatto (violon), Milos Popovic (piano)
Enregistré à Bruxelles (4-6 novembre 2009) – 58’36
Fuga Libera FUG 565 (distribué par Harmonia mundi) – Notice en français, anglais et allemand de Michel Stockhem





Lorenzo Gatto, élu Rising Star 2010-2011, est un violoniste belge connu notamment grâce à ses deuxième prix et prix du public au concours Reine Elisabeth 2009. Pour cet enregistrement au programme original et bienvenu, se joint à lui le pianiste belgo-serbe Milos Popovic, prodige que la Belgique accueillit en 2004 pour parfaire ses études auprès d’Eugène Moguilevsky et d’Abdel Rahman El Bacha.


Les deux jeunes musiciens se consacrent avec conviction à l’interprétation, peut-être la révélation, de trois œuvres, fort belles, de trois compositeurs originaires de l’Europe centrale: soigneusement sélectionnées, elles viennent en illustration du projet qui sous-tend cet enregistrement. L’album en porte le titre: «Deconstructing the wall». Immédiatement vient en tête le mur très concret de Berlin, qui est en même temps symbole de tout mur politique ou idéologique qui tend à entraver la création et qui empêche la libre circulation des idées et des œuvres. C’est ce mur symbolique qui fit de tant de compositeurs des exilés intérieurs ou réels à un moment ou un autre de leur vie. Enesco, Martinů et Mokranjac, de trois manières fort différentes, firent partie des exilés de l’après-guerre. Deux d’entre eux, Enesco et Martinů, vécurent entre la France et leur propre pays avant que la guerre ne provoque le départ précipité du second vers les Etats-Unis en 1940 et la fermeture des frontières de la Roumanie et de la Tchéquie en 1945. Les frontières de la Yougoslavie d’alors enfermaient la musique de Vasilije Mokranjac qui était, par nature, en exil intérieur au cœur de sa Serbie natale.


L’exil à son tour peut être symbolique et sans doute connaîtrait-on plus largement les œuvres de ces compositeurs si la Seconde Guerre mondiale n’avait provoqué une réaction tellement sismique que l’esthétique musicale de l’Europe occidentale en érigea, en quelque sorte, son propre mur. Vasilije Mokranjac ne fut jamais de l’avant-garde mais sa musique, ancrée dans le système tonal et classiquement écrite, n’en est pas moins très personnelle et d’une originalité féconde. C’est un univers tourmenté, d’une grande force de caractère, volcanique, rageur et sombre jusque dans les accalmies les plus lyriques. La Sonate de 1952, aux échos serbes, en est un bel exemple. Les quatre mouvements suivent avec maîtrise la structure classique mais l’écriture est orchestrale, les deux instruments participant à parts égales à la construction d’un discours sans détente sur un large ambitus constamment habité. Les quatre mouvements sont empreints d’une intensité rare qui prête au lyrisme un frisson de désespérance et aux rythmes enlevés une démente ardeur. Les deux musiciens en captent le dramatisme ténébreux dans toute sa puissance émotionnelle, la belle voix du violon éperdue ou vivement agile et le piano d’une fermeté saisissante. Leur conviction virtuose embrase la fougue noire du Scherzo et de la Toccata finale et file avec art ce chant buriné aux limites du désespoir.


Les élégantes Madrigal Stanzas de Martinů, poétiques comme leur nom l’indique, offrent un contraste ensoleillé, souriant et joueur malgré la nostalgie raffinée de l’Andante moderato central. Ecrite pour Albert Einstein, violoniste amateur à qui elle est dédiée, l’œuvre en tient compte: Martinů soigne l’indépendance linéaire de la partie de violon qui reste moins virtuose que la partie de piano, malgré ses caprices et bien que son lyrisme épanoui exige une grande sensibilité musicale. C’est à la complexité croissante de la partie de piano que le compositeur accorde les rythmes recherchés, délicieusement décalés ou syncopés, qui portent sa griffe et c’est l’extrême mobilité du piano autour du violon qui donne une illusion de rapidité aux mouvements indiqués qui s’éloignent peu du moderato. Milos Popovic en réussit le ciselé avec dextérité, netteté et grâce, contribuant à la mise en valeur des beaux thèmes à résonance tchèque qui respirent avec aise sous l’archet expressif de Lorenzo Gatto. L’interprétation des deux musiciens privilégie avec bonheur la caractéristique vitale de ces cinq miniatures, à savoir leur équilibre fluide, là où d’autres en accentuent peut-être la nostalgie (Suk et Hála), les rythmes vifs et irréguliers (Talich et Klepác), ou encore – Martinu venait de composer le Mémorial à Lidice – la profondeur des sentiments (Matousek et Adamec).


Depuis sa création en 1927, de nombreux musiciens ont laissé des témoignages mémorables de la Troisième sonate pour violon et piano de Georges Enesco, y compris le compositeur lui-même en compagnie de Dinu Lipatti, mais l’œuvre est fertile et toute nouvelle interprétation est à accueillir avec plaisir. Justement célèbre, elle offre un alliage subtil d’une richesse infinie entre une structure classique et le «caractère populaire roumain» qui peut inviter les traits instrumentaux tziganes et aller jusqu’à l’évocation d’un taraf traditionnel sans pittoresque encombrant, grâce à la perfection du langage harmonique et à la rigueur d’une écriture savante aux indications précises. Lorenzo Gatto avait présenté la sonate lors du concours Reine Elisabeth et son investissement est clair. Il donne préséance à l’inspiration tzigane de la partition, à la limite de la prudence, mais reste dans la juste mesure de la vision transfigurée, de la «fantaisie sur la vie et l’âme du violoniste tzigane» qu’appelait le compositeur. Sa sensibilité alliée à des techniques de jeu sûres – fines couleurs instrumentales, timbres étonnants, sons filés, pizzicati rageurs, retards exquis sur les glissandi vibrés – donnent vie à un monde de feu et de velours noir, de générosité et de passion douloureuse. A la faveur du sens du rythme et du tempo et de la grande précision de jeu de Milos Popovic, ils créent ensemble l’illusion de l’immédiateté fantasque de l’improvisation. Doux ou violent, Popovic négocie avec adresse les traits audacieux de la partition, fixant avec superbe les vertiges (pour paraphraser Rimbaud) des effets de cymbalum de l’Allegro final.


Sans délaisser la rigueur d’un univers classique strict, les deux instrumentistes réussissent à préserver le caractère national particulier de chacune des trois pièces de ce programme original, tout à fait engageant. Ils bénéficient d’une prise de son fine et transparente.


Le site de Lorenzo Gatto
Le site de Milos Popovic


Christine Labroche

 

 

 

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