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01/07/2009
« Lamenti »
Pietro Francesco Cavalli : « D’Hipparco e di Climene ospiti miei… » (extrait de L’Egisto) – « Acate, Ilioneo, compagni, amici… Dormi, cara Didone » et « Alle ruine del mio regno adunque… Tremulo spirito » (extraits de La Didone)
Claudio Monteverdi : Lamento della ninfa (extrait des Madrigali guerrieri, et amorosi) – Lamento d’Arianna (extrait de L’Arianna) – « Addio Roma » (extrait de L’Incoronazione di Poppea) – « Tu se’ morta mia vita » (extrait de L’Orfeo)
Barbara Strozzi : « L’Eraclito amoroso » (extrait des Cantate, ariette e duetti, opus 2)
Stefano Landi : Superbe colli, e voi, sacre ruine
Giacomo Carissimi : Lamento di Maria Stuarda
Pietro Antonio Cesti : « Dure noie, che rendete » (extrait de L’Argia)

Patrizia Ciofi, Natalie Dessay, Véronique Gens (sopranos), Joyce DiDonato (mezzo-soprano), Marie-Nicole Lemieux (contralto), Philippe Jaroussky (contre-ténor), Topi Lehtipuu, Rolando Villazòn, Simon Wall (ténors), Laurent Naouri, Christopher Purves (basses), Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (orgue, clavecin et direction)
Enregistré à la Chapelle de l’Hôpital Notre Dame du Bon Secours, Paris (4-6 février 2007 et 26-27 mai 2008) – 64’21
Virgin Classics 50999 519044 2 5 – Notice de Tim Carter et traduction trilingues






Évidemment, ce fut un des disques événements de la rentrée, de ceux que l’on voit exposés au grand public dans la moindre revue et que certains magasins se plaisent à afficher en tête de gondole comme le disque que chaque mélomane qui se respecte doit posséder… Troisième témoignage enregistré de la collaboration entre Emmanuelle Haïm et Natalie Dessay, ce nouvel opus réunit un plateau de rêve puisque Véronique Gens, Patrizia Ciofi, Marie-Nicole Lemieux, Philippe Jaroussky, Rolando Villazòn et Laurent Naouri viennent notamment compléter l’ensemble.


Quelle est la finalité d’un tel disque ? Le titre, Lamenti, veut en faire un hommage au lamento, figure musicale créée par Monteverdi au début du XVIIe siècle. Jusqu’à cette époque, la musique chantée était avant tout au service des mots, du verbe ; c’est ainsi qu’est né ce que l’on a appelé le recitar cantando (la « parole chantée »). D’inspiration antique (plus spécifiquement platonicienne), ce procédé visait avant tout à susciter l’émotion des auditeurs et, ce qui est remarquable pour l’époque, en se fondant non sur des thèmes religieux ou mythologiques mais en illustrant les rapports entre êtres humains. La figure même du lamento est inaugurée par la scène « Lasciatemi morire » chantée par Ariane dans l’opéra aujourd’hui perdu Arianna de Claudio Monteverdi (1567-1643). Cet air célèbre de 1608 est ici chanté par Véronique Gens avec force effets théâtraux qui mettent bien en valeur la tonalité même de cette forme musicale qu’était le lamento. Monteverdi est représenté à trois autres reprises dans ce disque : Natalie Dessay, Topi Lehtipuu, Simon Wall et Christopher Purves interprètent magnifiquement le Lamento della ninfa (« plaintes de la nymphe ») tiré du Huitième livre des Madrigaux (1638). Fortement influencé par la musique moyenâgeuse, l’air est chanté tel une rêverie où l’insouciance en vient presque à surpasser la tristesse. Joyce DiDonato se voit confier une des pages les plus célèbres de ce disque, puisque tirée du Couronnement de Poppée, créé à Venise en 1643, qui passe pour être le premier opéra à représenter des événements historiques et des personnages ayant réellement existé. Excellente interprète de Haendel, Joyce DiDonato incarne à merveille l’émotion et, même, la douleur qui étreignent Octavie lorsque celle-ci doit quitter la ville de Rome. Monteverdi est une dernière fois présent avec un air bref extrait de L’Orfeo. On admirera le chant de Rolando Villazòn qui, s’il ne souffre aucun problème technique, a néanmoins peut-être un peu tendance à se situer davantage dans l’atmosphère belcantiste que dans la réserve qui, en général, sied à ce type de répertoire.


Il en va de même dans l’air d’Égisthe tiré de L’Egisto composé en 1643 par Pietro Francesco Cavalli (1602-1676), auteur par ailleurs de trente-quatre opéras… Déplorant le fait d’avoir été éconduit par la belle Chloris, Égisthe fuit sa patrie et se lamente sur son sort et sur sa nouvelle solitude : Villazòn exprime avec une vraie sincérité le chagrin qui le tourmente mais n’est-il pas parfois un peu excessif (dans ses respirations, dans ces incantations, dans ses intonations) ? La discussion est permise : elle avait déjà eu lieu lorsque ce chanteur avait interprété Monteverdi avec la même Emmanuelle Haïm au Festival de Saint-Denis en juin dernier. L’air « Acate, Ilioneo, compagni, amici… Dormi, cara Didone » est issu d’une autre création de Cavalli, La Didone (1641), premier opéra à avoir ressuscité le couple mythique formé par Didon et Énée. Chanté par Topi Lehtipuu accompagné, à l’instar des autres morceaux du disque, par un ensemble minimaliste (luth, viole de gambe et clavecin en l’occurrence), c’est une page splendide où, galant jusqu’au bout, le chanteur ménage Didon des conséquences de son départ plus qu’il n’exprime ses propres tourments. Dernier air de Cavalli, également extrait de La Didone, un duo entre Hécube (qui mêle récitatifs et arias) et Cassandre, rôles respectivement tenus par Marie-Nicole Lemieux et Patrizia Ciofi. Comme on pouvait un peu s’y attendre, la seconde (qu’on a notamment pu entendre au disque dans Vivaldi et Monteverdi) est plus à l’aise que la première dont le discours devint rapidement statique en dépit des intentions manifestées par la chanteuse.


Il était normal que le disque rende ensuite hommage à Barbara Strozzi (1619-1677) puisqu’elle fut l’élève de Cavalli… L’air « L’Eraclito amoroso » reflète assez bien la personnalité qui ressort de l’unique portrait qui existe d’elle, actuellement exposé à la Gemäldegalerie de Dresde : un côté un peu bohème (la peinture la montre altière, à moitié dévêtue, une fleur rouge vif plantée dans des cheveux noirs) et rêveur. Ici, tout est nonchalance, douceur et tristesse : encore une fois, Philippe Jaroussky fait montre d’un incroyable investissement et prouve qu’il est un des meilleurs hautes-contre actuellement en activité : écoutez notamment l’air à partir de « Ma, se la fede negami », accompagné avec une infinie délicatesse par le Concert d’Astrée. Les airs composés respectivement par Stefano Landi (1586-1639) et Pietro Antonio Cesti (1623-1669) nous permettent ensuite d’entendre des voix masculines puissantes et graves (Christopher Purves et Laurent Naouri) qui, l’une comme l’autre, n’abordent l’aspect mélancolique des héros qu’après avoir rappelé leurs gloires passées. Les changements d’atmosphère ainsi induits renforcent l’évolution dramatique des personnages qui, dans nombre d’opéras du XVIIe, sont partagés entre leurs devoirs et leurs aspirations, et entraînent ainsi l’auditeur dans leurs tourments…


Si l’on pouvait éprouver quelques doutes sur l’entreprise, force est de constater qu’il s’agit là d’un disque splendide (en dépit d’un ou deux airs moins convaincants) qui complète harmonieusement la belle gravure « Battaglie & Lamenti » dirigée par Jordi Savall chez AliaVox.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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