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06/12/2008
Claude Debussy : Sonate n°2 pour flûte alto et harpe – Sonate n°1 pour violoncelle et piano (*) – Sonate n°3 pour violon et piano (*)
Steven Stucky : Sonate en forme de préludes
Kaija Saariaho : Je sens un deuxième cœur (**)
Marc-André Dalbavie : Axiom (#)

Ransom Wilson (flûte), David Shifrin (clarinette), Stephen Taylor (hautbois), Peter Kolkay (basson), William Purvis (cor), Chris Gekker (trompette), Elmar Oliveira (violon), Paul Neubauer (alto), Gary Hoffman (violoncelle), Heidi Lehwalder (harpe), Gilbert Kalish (#) (clavecin et piano), Jeffrey Kahane (*), Inon Barnatan (**) (piano)
Enregistré en public au Alice Tully Hall, Lincoln Center, New York (17 et 19 novembre 2006) – 96’10
Deutsche Grammophon 477 6627 (disponible exclusivement par téléchargement)





Un programme tout à fait original se pose en tout premier attrait du concert qui ouvrait la série de trois organisée par la Chamber Music Society (CMS) et captée par Deutsche Grammophon au Lincoln Center de New York. Le concert donnait à entendre le même soir les trois Sonates de Debussy accompagnées de trois œuvres contemporaines, intercalées, qui représentent par leur instrumentation les trois Sonates que le compositeur n’a pu réaliser. Les trois pièces résultent de commandes de la Carnegie Hall Corporation faites en 2003, dans cet objectif précis, à Kaija Saariaho, Marc-André Dalbavie et Steven Stucky. La création des trois œuvres a eu lieu lors de trois concerts différents en avril 2004, Pour l’instant, l’enregistrement DG est l’unique qui en existe et il est très agréable de les découvrir dans cet enchaînement innovateur, toute la modernité de Debussy ressortant à leur contact, elles-mêmes à leur avantage, peut-être, dans la lumière de ses trois Sonates.


La prodigieuse Sonate pour flûte, alto et harpe ouvre le concert dans une interprétation étincelante et alerte, pénétrée de la touchante mélancolie nécessaire, nostalgique, songeuse, mais précise. Les trois instrumentistes trouvent un bel équilibre, particulièrement appréciable lors des superpositions polytonales du dernier mouvement. Précédée de la composition de Steven Stucky, la Première sonate bénéficie de la complicité qui s’établit entre le violoncelle souple et agile de Gary Hoffman et le piano énergique de Jeffrey Kahane. Ils font ressortir le caractère joueur de l’œuvre, tout comme ses quelques accents espagnols, sans jamais en trahir la poésie intérieure. Après la composition de Kaija Saariaho vient la Troisième sonate, musicalement et historiquement si émouvante. Si le piano sous les doigts vifs de Jeffrey Kahane est ici parfois un peu heurté, le son plein du violon d’Elmar Oliveira sied bien à son interprétation peut-être dans l’esprit d’un Heifetz. Son expressivité est grande et on peut y être particulièrement sensible lors des volutes gourmandes et épanouies et la passion intense de l’Allegro vivo. Le concert se clôt sur Axiom, la composition de Marc-André Dalbavie, son titre un hommage discret à Emanuel Ax, pianiste à la création.


Debussy avait précisé l’instrumentation de deux des trois Sonates qu’il ne put mener à bien, l’une pour hautbois, cor et clavecin, l’autre pour clarinette, basson, trompette et piano. Stucky et Dalbavie ont tenu à respecter ses intentions. Kaija Saariaho garde le piano, présent maintenant trois fois sur cinq, ne retenant que deux des «divers instruments», l’alto et le violoncelle. Aucun des trois compositeurs n’a cherché à imiter Debussy mais, les trois partitions ont en commun un contexte consonant, quelles que soient les avancées des techniques utilisées, et, pour Stucky et Saariaho, par coïncidence, peut-être, une légère coloration étrangement néo-classique selon les mouvements.


Steven Stucky rend un triple hommage à Debussy. Il adopte une instrumentation qu’il trouve pourtant hasardeuse, donne à son œuvre un titre qui rappelle le projet d’une sonate en forme de concert, et accorde à chacun des sept volets de sa Sonate en forme de préludes [sic] un titre en français qui lui évoque Debussy – le dernier volet, Feux d’artifice, directement. La puissance des trois instruments lui semblant trop inégale, il donne un rôle distinct à chacun, le clavecin mobile, motorique, créant un merveilleux tapis de sons sur lequel évoluent le hautbois agile ou lyrique et le cor au chant plus solennel ou aux appels péremptoires. La composition, à fort ancrage tonal, procède, au clavecin, par empilements d’accords brisés, modulés sans cesse, les différents climats et motifs mélodieux laissés aux caprices des deux instruments à vent. L’accueil du public est très chaleureux; on salue peut-être le caractère ludique de cette série de préludes ou encore la prouesse des trois musiciens, le claveciniste, Gilbert Kalish, en tête.


En parallèle à la composition de son opéra Adriana Mater, Kaija Saariaho écrivait Je sens un deuxième coeur, pièce pour piano, alto et violoncelle en cinq volets aux titres évocateurs. Ses intentions n’étaient jamais programmatiques. Au départ, pour les quatre premiers volets, la compositrice envisageait les profils musicaux des quatre personnages de son opéra mais en fin de compte les titres imagés s’appliquent à quatre études instrumentales. La première, «Je dévoile ma peau», insiste posément sur les différentes natures des trois instruments; la deuxième, «Ouvre-moi, vite!», et la quatrième, «Il faut que j’entre», mettent frénétiquement en valeur les différentes qualités de l’énergie instrumentale; la troisième, «Dans le rêve, elle attendait», s’attache à dévoiler les couleurs instrumentales qui peuvent surgir d’une étroite association des trois instruments. Le cinquième volet est une étude de création de duo au sein d’un trio à double pulsation mais c’est ici que Saariaho reste le plus près de l’opéra (troisième tableau), les deux cœurs étant ceux de la mère et de l’enfant à naître et le climat un ressenti très personnel de la communication secrète établie. Introduction, vif, lent vif, finale... la composition est d’une rare qualité orchestrale, les deux volets vifs presque violemment animés dans un tumultueux mouvement perpétuel, motorique et incisif, les trois autres, aux longs étirements de son et aux jeux sur la résonance, doux et enveloppants comme un tissu de soie. «Avec une légèreté fantasque et précise» (Debussy), les trois instruments participent à l’élan d’une même phrase musicale, l’un suivant l’autre, ou à deux ou à trois, pour ensuite la croiser ou la contrarier, créant une polyphonie délicate tout en ressacs douloureux et doux bercements de houle. La cohésion entre les trois instrumentistes se doit d’être remarquable et le jeune Inon Barnatan, Paul Neubauer et Gary Hoffman, tous les trois de la CMS, relèvent le défi avec beaucoup de sensibilité.


Si Axiom appartient à l’ensemble de ces six Sonates par son instrumentation (piano, clarinette, basson, trompette), l’œuvre fait aussi partie d’un cycle construit sur une composition pour piano destinée à connaître six confrontations instrumentales de nature et de caractère différents, allant, pour les quatre pièces déjà composées, de deux instruments (Trio pour violon, cor et piano) à un orchestre symphonique (Concerto pour piano). La partie de piano (l’axiome, peut-être) doit rester à peine modifiée d’une pièce à l’autre. Le quatuor s’ouvre sur un brillant énoncé à l’octave martellato du thème aux larges intervalles, vibrant et affirmé. Les intervalles se comblent petit à petit à chaque reprise accelerando pour se transformer en carillon après carillon de gammes chromatiques descendantes, contrariés en fin de parcours par de rapides contre-courants remontants. C’est ici que les trois vents font leur entrée, les premiers traits se terminant à l’unisson sur un ré qui prête sa couleur à l’ensemble. La présence du thème se ressent tout au long des trois sections enchaînées, directement, en arrière-plan, par bribes et même en son apparente absence. Lors des deux sections extérieures, clarinette, basson et trompette, seuls ou ensemble, prolongent les lignes du piano, l’accompagnent à l’unisson ou en deviennent son ornement. Pour la section centrale la tendance s’inverse dans la douceur d’un succulent mariage de sonorités, les trois instruments à vent s’exprimant plus librement. Par moments, une couleur hispanique (on pense à Debussy), surgit des tremolos de notes seules ou des bribes de thème rapides au piano ou encore d’une trompette, bouchée ou non, sonnant discrètement à la Miles Davis sans les accents de jazz. La sémillante dernière section, en partie en miroir de la première et affirmée comme elle, aboutit au thème d’origine avant le bref accord presque en cluster de fin. L’énergie de Gilbert Kalish est encore une fois impressionnante et on apprécie les délicates nuances que David Shifrin, Peter Kolkay et Chris Gekker apportent à leur jeu.


La grande valeur de cet enregistrement se tient dans le thème, la nature et, bien sûr, la qualité du concert d’origine. Les musiciens de la CMS et leurs invités se montrent d’une bonne efficacité et on ne peut être que sensible à leur conviction et à leur enthousiasme contenu.


Christine Labroche

 

 

 

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