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04/30/2008
Francisco Guerrero : Coma Berenices – Ariadna – Sáhara – Oleada – Antar Atman

Orquesta Sinfónica de Galicia, José Ramón Encinar (direction)
Enregistré à La Coruña (avril et septembre 1999, mars 2000) – 54’52
col legno WWE 1CD 20044 (distribué par Intégral) – Notice de présentation en espagnol, allemand, anglais et français



Francisco Guerrero (1951-1997) nous a quittés dans sa quarante-sixième année. Les œuvres choisies pour cet enregistrement en son honneur donnent la pleine mesure de son talent et soulignent a fortiori ce que cette perte représente pour nous.


La première datant de 1980 et la dernière de 1996, les cinq œuvres choisies pour cet enregistrement sont représentatives d’un champ significatif des recherches et des réalisations de Francisco Guerrero. Pour orchestre ou pour orchestre à cordes, elles profitent néanmoins de ses recherches dans le domaine électroacoustique, se basent, grâce à ses recherches poussées en mathématiques, sur les principes de l’analyse combinatoire et sur la théorie des fractales, et s’inspirent des structures complexes (germinations, ramifications, ondulations...) de la nature. Elles ont en commun une force saisissante, une intense énergie intérieure et une intransigeance fertile.


«Il est clair qu’Oleada ne renvoie pas à l’occurrence physique que peut suggérer le titre. [...] Une vague est toutes les vagues, et toutes les vagues dans leurs multiples manifestations sont la même vague. [...] Plus que la morphologie concrète de chaque élément, ce qui m’intéresse est la mécanique générale de l’évolution», écrit Guerrero. Effectivement, c’est clair. Il n’empêche qu’il donne à ses oeuvres des titres évocateurs et, sans pour autant visualiser des scènes ou des images précises, l’auditeur se trouve plongé dans une atmosphère, un mouvement, une force, une sensation – une impression presque physique de faire partie de l’univers évoqué par le titre. Comme pour Oleada (1993), les titres peuvent suggérer en même temps le climat d’un monde naturel ou spirituel qui leur est propre et les principes mathématiques qui entraient en application lors de la composition. Pour d’autres, comme Sáhara (1991), le monde naturel et spirituel de chacun est aussitôt présent mais la structure même de l’œuvre impose une prise de conscience des formes musicales qui naissent sous l’influence des modèles mathématiques en jeu.


Le résultat, aux timbres recherchés, aux multiples strates sans cesse décalées et aux pupitres souvent divisés à l’extrême, est d’une grande complexité autant rythmique que polyphonique qui laisse supposer une mise en place particulièrement délicate. La clarté de l’interprétation engagée de José Ramón Encinar et de l’Orchestre symphonique de Galice ne peut que susciter l’admiration. Elle souligne une maîtrise totale des forces orchestrales tout en sublimant la charge d’intensité purement musicale.


La pièce la plus ancienne de la sélection, Antar Atman (1980), pour grand orchestre, est peut-être la plus difficile d’accès. D’une grande énergie vitale, elle contient déjà les traits principaux de l’écriture de Guerrero et certaines de ses qualités. L’accent est mis sur les variations de texture qui vont, sur un large ambitus, du dense au raréfié, empilant les groupes instrumentaux, ensemble ou divisés, s’affinant jusqu’à une voix seule. Encinar tient fermement son orchestre, l’œuvre étant, par sa nature même, perpétuellement au bord du chaos.


Par la suite, Guerrero se penche de plus en plus sur les possibilités musicales de la théorie des fractales et les micro-intervalles s’imposent dans le cas d’Ariadna (1984), pour vingt cordes, vingt pupitres. Les sons, longs ou saccadés, toujours composites, se contrastent ou s’irisent aux couleurs des techniques de jeu (glissandi, pizzicati, gettati, harmoniques...), et le noir violent d’un silence en point d’orgue qui suspend par deux fois leur mouvement perpétuel en rehausse une dimension mystique tout à fait saisissante. Les principes profonds d’Oleada sont différents mais les cinquante pupitres effectifs de l’orchestre à cordes auquel cette œuvre fait appel se comparent par moments aux vingt d’Ariadna. Dans le cas d’Oleada, les mouvements puissants traversent le décalage irrégulier des départs multiples et empruntent leur élan au déferlement inhérent à la vague. Il s’agit d’une élaboration du mouvement fractal de ce qui est onde sans aucune volonté d’imitation, l’amplitude et la densité établies par ordinateur avant le génie du geste musical. Pourtant la musique a une âme et cette âme est onde, minérale et fluide.


Entre les deux, viennent les longues incandescences frémissantes et les secousses sismiques de Sáhara. L’œuvre, pour grand orchestre, évoque fugitivement Ligeti ou le jeune Lindberg, Sumera, peut-être, mais demeure dans sa splendeur unique, massive, dense, puissante et implacable. Elle dépend comme les autres de principes mathématiques appliqués et se construit selon des principes organiques, propres à la nature mais de nouveau la musique prime et ses forces embrasées sculptent sauvagement la beauté surnaturelle de ce milieu hostile aux mirages féroces.


Coma Berenices (1996) vient en impressionnante synthèse des quatre œuvres précédentes. Le titre fait référence peut-être au monde antique, peut-être à la constellation, peut-être aux deux. Commande de la Junta de Andalucia pour célébrer le cinquantenaire de la mort de Falla, on pense à la cantate Atlantida inachevée et, lors de Coma Berenices, tout en entendant l’inquiétante musique des sphères, tout en ressentant l’étrangeté d’un cosmos tourbillonnant de noir et de feu, traversé de trajectoires mystérieuses et aux rencontres nébuleuses, on croit aussi entendre, dans les sonorités créées, des instruments antiques ou imaginaires, gongs autoritaires, tambours secs ou orageux, cors, carynx en parade et chalumeaux aigus, les musiciens exaltés ancrés dans un monde en devenir. Guerrero, cependant, s’intéresse d’abord à l’élaboration constructive de son œuvre, et pour lui «l’intérêt est dans la manière dont une forme est produite du point de vue de ses rapports». Il mène les forces orchestrales avec une grande maîtrise dans «le double principe de l’intégration et de la différentiation» et la partition est riche en événements simultanés, les éléments en conflit, en contraste et en contrepoint, les timbres innovants et les textures variées relevant de choix judicieux. L’écriture est horizontale, provoquant un puissant élan en avant mais l’écoute qui s’impose est verticale, chaque instant concentrée sur le détail orchestral.


Coma Berenices fut terminée en 1996 mais la création n’en eut lieu qu’en février 1998, Brouwer à la tête de l’Orchestre de Cordoue, quatre mois après la disparition du compositeur. Elle est la dernière œuvre achevée de Francisco Guerrero et peut-être la plus aboutie. Il laisse inachevée une orchestration qui lui tenait à cœur d’Iberia d’Albeniz et, évanoui, un projet de nouvel essor pour son style orchestral.


On évoque souvent Varèse, Xenakis ou Ligeti à son propos mais, malgré les instants fugitifs qui permettent une comparaison, Francisco Guerrero, esprit original et indépendant, n’est l’héritier de personne. On rend grâce à Encinar et à l’Orchestre symphonique de Galice d’avoir mené à bien l’enregistrement de ce témoignage précieux de son œuvre pour orchestre.


Christine Labroche

 

 

 

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