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Un diptyque épique

Milano
Teatro alla Scala
04/16/2024 -  et 18, 21, 23, 26, 28*, 30 avril, 2, 5 mai 2024
Pietro Mascagni : Cavalleria rusticana
Elīna Garanca/Saioa Hernández* (Santuzza), Francesca Di Sauro (Lola), Brian Jagde*/Yusif Eyvazov (Turiddu), Amartuvshin Enkhbat*/Roman Burdenko (Alfio), Elena Zilio (Mamma Lucia)
Ruggero Leoncavallo : Pagliacci
Irina Lungu (Nedda), Fabio Sartori (Canio), Amartuvshin Enkhbat*/Roman Burdenko (Tonio), Jinxu Xiahou (Peppe), Mattia Olivieri (Silvio), Gabriele Valsecchi/Alessandro Senes* (Un contadino), Luigi Albani/Ramtin Ghazavi* (Altro contadino)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Coro di Voci Bianche dell’Accademia Teatro alla Scala, Marco De Gaspari (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Giampaolo Bisanti (direction musicale)
Mario Martone (mise en scène), Federica Stefani (reprise de la mise en scène), Sergio Tramonti (décors), Ursula Patzak (costumes), Pasquale Mari (lumières), Daniela Schiavone (mouvements scéniques)


(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)


Le diptyque le plus célèbre de l’histoire de l’opéra – Cavalleria Rusticana et Paillasse – fait son retour à la Scala pour une série de neuf représentations, ce qui témoigne du succès jamais démenti des deux ouvrages, en Italie du moins. La production, signée Mario Martone, date de 2011. A l’époque, le public milanais avait contesté cette version minimaliste. Il faut dire qu’elle remplaçait un spectacle conçu par Franco Zeffirelli, avec la débauche de décors et de figurants qu’on associe habituellement au célèbre cinéaste. Mario Martone a, lui, opté pour l’épure, éliminant tout folklore sicilien. Pour Cavalleria rusticana, les décors sont réduits au strict minimum : un autel surmonté d’un énorme crucifix au fond du plateau, devant lequel sont alignées des rangées de chaises occupées par les choristes, qui sont ainsi plongés au milieu de l’action, comme dans une tragédie grecque. Les solistes sont, eux, sur le devant de la scène. Lorsque, au début de l’ouvrage, Santuzza vient demander des nouvelles de Turiddu à Mamma Lucia, les choristes détournent la tête tous ensemble, dans un mouvement saisissant, faisant semblant de ne pas vouloir être mêlés à cette histoire, dans un grand élan d’hypocrisie. Pendant l’Ouverture, Alfio sort d’un bordel (qui disparaîtra par la suite) pour aller chez le barbier. L’intrigue oscille donc entre maison close, barbier et église, la réalité de bien des hommes de sud de l’Italie à l’époque. Les scènes d’interaction entre les solistes se déroulent devant le chœur, sans aucun accessoire, Mario Martone ayant choisi d’aller droit à l’essentiel. Treize ans plus tard, son spectacle, repris par Federica Stefani, séduit par sa force de conviction et sa cohérence. Les Parisiens le connaissent car il a été présenté à l’Opéra Bastille en décembre 2016, couplé pour l’occasion non pas à Paillasse, mais à la très rare Sancta Susanna de Paul Hindemith.


La distribution vocale de Cavalleria rusticana est parfaitement homogène et de très haut niveau. On retient tout d’abord la Mamma Lucia extrêmement expressive d’Elena Zilio, aux accents véhéments et passionnés, quand bien même le passage des années a enlevé un peu de lustre à la voix, mais quelle force d’interprétation ! Alfio au regard constamment sombre et méfiant, Amartuvshin Enkhbat séduit par son splendide legato, son timbre moelleux et ses graves bien projetés, même si la voix semble parfois comme légèrement étouffée. Francesca Di Sauro est une Lola au chant voluptueux. Santuzza fière et passionnée, jamais soumise, dont la trahison va la conduire au désespoir, Saioa Hernández déploie une voix ample et majestueuse, homogène sur toute la tessiture et bien conduite, remplissant sans peine l’immense salle de la Scala. Brian Jagde impose un Turiddu sûr de lui, au timbre viril et sombre, avec des aigus rayonnants. Et comme toujours dans le répertoire italien, le Chœur de la Scala – qui occupe un rôle central ici – est remarquable d’engagement, de puissance et de précision. Dans la fosse, Giampaolo Bisanti attaque l’Ouverture avec des tempi mesurés ainsi que des accents mélancoliques ; il pare constamment l’orchestration de couleurs sombres et mystérieuses, même dans les pages plus légères, et cherche lui aussi la transparence et l’épure, au diapason de la mise en scène.


Pour Paillasse, Mario Martone propose une vision plus réaliste et surtout beaucoup plus crue. L’intrigue se déroule dans un glauque terrain vague au‑dessus duquel serpente une route sur laquelle se pressent les habitants du village pour assister à la représentation. Aux abords du terrain, des prostituées haranguent des clients, avant l’arrivée des roulottes de la troupe de Paillasse, avec son lot de saltimbanques aux numéros d’acrobatie impressionnants. Les interactions entre les personnages sont caractérisées par la méfiance et la violence. L’action a lieu au plus près de la salle, essentiellement sur des passerelles situées sur les deux côtés du plateau, à la hauteur de la fosse, et dans la salle même, puisque Silvio assistera au premier rang, en spectateur, au meurtre de Nedda, avant de se précipiter sur scène et d’être tué lui aussi par Paillasse. Le chef Giampaolo Bisanti adopte cette fois des tempi plus rapides et passionnés, tissant une narration vibrante et tendue de bout en bout, à la tête d’un Orchestre de la Scala des grands soirs.


En Canio profondément jaloux et brutal, Fabio Sartori impressionne par la vaillance de ses aigus et la solidité de son chant, quand bien même la voix a un peu perdu de son lustre et que le chanteur se complaît dans le forte sans trop s’accommoder de nuances. Irina Lungu est une Nedda particulièrement émouvante dans sa volonté de quitter ce monde de brutes, avec de superbes accents lyriques. En Tonio, Amartuvshin Enkhbat fait très forte impression dans le Prologue, avec encore une fois un timbre particulièrement bien projeté et velouté. On mentionnera aussi le Silvio fort convaincant de Mattia Olivieri, sans oublier la magnifique prestation du chœur.



Claudio Poloni

 

 

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