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Grand succès

Madrid
Teatro Real
04/23/2024 -  et 28 avril, 2*, 6, 10, 14, 18, 21, 25 mai 2024
Richard Wagner : Die Meistersinger von Nürnberg
Gerald Finley (Hans Sachs), Jongmin Park (Veit Pogner), Leigh Melrose (Sixtus Beckmesser), Tomislav Muzek (Walther von Stolzing), Nicole Chevalier (Eva), Sebastian Kohlhepp (David), Anna Lapkovskaja (Magdalene), José Antonio López (Fritz Kothner), Paul Schweinester (Kunz Vogelgesang), Barnaby Rea (Konrad Nachtigall), Albert Casals (Balthasar Zorn), Kyle van Schoonhoven (Ulrich Eisslinger), Jorge Rodríguez Norton (Augustin Moser), Bjørn Waag (Hermann Ortel), Valeriano Lanchas (Hans Schwarz), Frederic Jost (Hans Foltz), Alexander Tsymbalyuk (Veilleur de nuit)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), José Luis Basso (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Pablo Heras‑Casado (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Caroline Ginet (décors), Urs Schönebaum (lumières)


J. Park, N. Chevalier (© Javier del Real/Teatro Real)


Plus de vingt ans sans Meistersinger à Madrid ! Hélas – on se demande comment on a pu se fondre dans un tel abîme de frustration. Mais, finalement, le Teatro Real a réagi, très bien réagi, avec une production exceptionnelle de Laurent Pelly, la baguette de Pablo Heras‑Casado (jour après jour, il est de plus en plus wagnérien) et une distribution formidable. On n’est pas au temps de Wieland Wagner ; heureusement, on n’est pas non plus au temps de Wolfgang Wagner. Ce n’est pas La Mecque de la Colline verte, siège d’une affaire familiale qui se poursuit toujours, pour y aller en pèlerinage. Tout simplement une belle, très belle mise en scène, pleine de sagesse, de jeux de contrastes théâtraux, comiques, ou en affinité avec les situations et les rôles (Sachs vs Beckmesser, ou bien les couples se cherchant l’un l’autre : Eva et Walter, Lena et David) ; avec une direction d’acteurs (et actrices) détaillée, une bonne définition des personnages, des caractères. Le comble, n’est‑ce pas ? Un metteur en scène avec des idées brillantes, comme on va le voir, et capable en même temps d’aider les voix dans la construction de leurs personnages !


Côté voix, on a le formidable Sachs, plus jeune que d’habitude, dont la voix n’est pas très grave, du Canadien Gerald Finley, qui a progressivement conquis ces derniers temps son propre répertoire wagnérien. Plus délicat qu’imposant en acteur comme en chanteur, Finley a dessiné avec Pelly un Sachs dans son premier âge mûr : ici, sa sagesse n’est pas associée à l’obscurité de la voix ou à une allure frisant la vieillesse. Bien sûr, ce n’est pas non plus une voix claire en concurrence avec le lyrisme de Walther ; il est plus baryton que basse, et cela fonde la construction du personnage. Tomislav Muzek, allemand et croate, de formation surtout viennoise, est un mozartien reconnu qui a joué des rôles aussi lyriques que Lensky ou Edgardo, et a commencé son véritable parcours wagnérien avec Lohengrin et Walther. Muzek est un des Walther le plus lyriques qu’on puisse entendre aujourd’hui (si je ne me trompe, car le monde wagnérien est rempli de chanteurs de qualité), et il a laissé une marque proche de l’italien dans son Walther plus poète qu’héroïque – on sait bien que le reste du répertoire de Wagner conspire souvent à présenter un Walther frôlant le Heldentenor. Loin de tout cela, Muzek est lyrique, même s’il se situe assez à l’écart des Walther historiques.


Eva Pogner est un personnage qui n’a pas les grands monologues de Sachs, Walther, voire David. Elle est le centre, mais elle est la proie ; et la proie est la vie et la joie d’aimer dans cette histoire. Comme d’habitude chez Wagner, Les Maîtres Chanteurs raconte le conflit suscité par quelqu’un qui arrive dans une société plus ou moins porte fermée. Mais il y a toujours un complice dans la citadelle. Ici, Eva, qui attendait justement une présence masculine comme celle de Walther : sa voix, son interprétation doit être le pendant du jeune intrus. Eva doit posséder une voix de soprano lyrique pleine, douce d’émission, et en même temps forte quand le personnage prend ses décisions. Certes, il est vrai que sans Sachs (l’autre complice à l’intérieur de la citadelle), Eva n’irait guère loin. C’est ainsi que les trois voix protagonistes se trouvent entremêlées, dépendantes l’une de l’autre ; et cela conduit au quintette qui referme le premier tableau de l’acte III. Un quintette, pas un trio, sinon pourquoi Sachs appellerait‑il Lena et David à ce moment‑là ? Pour faire un quintette, nécessité du scénariste, puisque le quintette donne une résonnance plus riche, avec l’autre couple, le couple populaire face au couple bourgeois-noble, face à la solitude du sage, Sachs. On a l’impression que ces trois voix et leur histoire mènent au quintette, le cœur de la fête. Eva, charmante ici, mais surtout courageuse, inquiète, est bien servie par la voix puissante de l’Américaine Nicole Chevalier. On le comprend mieux quand on sait qu’elle a été Semele et qu’elle a chanté les quatre rôles des Contes d’Hoffmann. Cela dit, évidemment, le temps d’Elisabeth Grümmer est bien lointain.


Mais pour ce trio, et pour l’action du conflit et l’aventure, il faut un autre couple, on l’a vu. Il faut une voix de ténor lyrique, David, au profil de premier rôle mais se contentant d’être le gracioso, un Papageno. David requiert une voix et une capacité dramatique supérieures à celles des personnages secondaires, populaires, soutenant toujours les vrais protagonistes. Formidable ici, Sebastian Kohlhepp, brillant dans son long monologue (interrompu çà et là) du premier acte : la pédagogie de l’arme exclusive et d’exclusion des Maîtres. Avec lui, une mezzo qui est comme la suivante de la jeune Eva ; pas une duègne, cela a souvent été dit, et il faut s’en rappeler, puisqu’elle est la fiancée de David, une jeune femme. La mezzo d’origine biélorusse Anna Lapkovskaja incarne une Magdalena vive, à la voix ferme et délicate, une complice d’Eva, comme il se doit.


Mais il y a un adversaire nécessaire, Sixtus Beckmesser. Il n’est pas un méchant mais il est le vilain de l’histoire. Pour le triomphe de l’amour et de l’art nouveau, véritablement art et véritablement nouveau, le dégoûtant Beckmesser est aussi nécessaire que le mauvais disciple dans une Passion. Il est le philistin qu’il faut contester, désavouer, ridiculiser. Mais pour ce personnage, il faut un baryton de base lyrique avec des envolées bouffes, risibles, mettant même en doute sa masculinité. Mais surtout une voix mêlant virtuosité et jeu d’acteur burlesque. La caractérisation de Beckmesser par Leigh Melrose offre pleinement une solution à ces contraintes et défis. Melrose est acteur, Melrose est un grand baryton à la voix parfois claire, selon les nécessités et selon sa volonté. On l’a vu au Teatro Real dans le rôle de Nixon dans l’opéra d’Adams ; et il peut chanter aussi bien les rôles de Wozzeck ou de beaucoup de personnages d’opéras nouveaux, comme Solaris de Fujikura ou Fin de partie de Kurtág. Melrose, un Beckmesser comploteur et maltraité, a été un des héros d’un public conquis.


Il manque Pogner, le père. Ici, le public et la critique ont été presque unanimes. Le Coréen Jongmin Park, voix imposante de basse plutôt que de baryton, grand volume et déployant également une grande autorité, l’a emporté dans cette distribution. Il faudrait ajouter José Antonio López, un Kothner qui sait se faire une des voix solistes incontournables : voix équilibrée, rôle comique mais pas comme Beckmesser, López compose un secrétaire de la guilde modéré dans son côté bouffe et déployant tant que possible son chant, lui qui a été le Hollandais mais aussi Falstaff.


Tous ces personnages se trouvent face aux solistes chantant les autres Maîtres, solistes et chœur, jamais chorale, souvent en contrepoint ; mais aussi face au chœur, le peuple de Nuremberg, un collectif montrant clairement ses sympathies pendant la scène finale, celle du concours, mais qui se bagarre également – la fugue à la fin de l’acte II. On pense parfois que si l’action mène au quintette, elle mène aussi à la mêlée, coup de maître, un ensemble final bref et péremptoire (le premier acte se conclut juste après l’ensemble des Maîtres condamnant Walther). On peut penser que Wagner a composé la bagarre et le quintette avant le reste. Parfois, si l’on en croit Korngold, entre autres, on compose un morceau central pour en déduire le reste, avant et après. Est‑ce le cas ici ?


Des solistes très complets pour les Maîtres et un chœur formidable qui ne s’arrête pas dans un opéra mouvementé comme celui‑ci : un travail récompensé par le plaisir donné au public, mais d’une préparation ardue, manifestement intense. Un succès pour l’ensemble dirigé par José Luis Basso.


On a gardé la scène et la fosse pour la fin. La mise en scène de Pelly évite deux écueils des mises en scène d’aujourd’hui : raconter une autre histoire, plus ou moins éloignée de la situation lyrico-dramatique ; ou, en revanche, se conformer aux productions d’un prétendu respect historique. Pelly, dans son premier et magistral Wagner, nous montre avec Caroline Ginet un Nuremberg aux petites maisons de carton, des boites suggérant la ville, et on dirait parfois des volumes en papier mâché. Peut‑être cet opéra mène‑t‑il au monologue de Sachs, pas seulement à la bagarre ou au quintette. On dit qu’il s’agit d’une tirade controversée, source de polémiques ; pas du tout : source de monologues favorables à la sinistre maison de Winifred ou, en revanche, insistance dans le souvenir incontournable de ce qui s’est passé en manipulant un Wagner qui ne faisait que se poser comme maître chanteur du grand Empire allemand en germe. Il voulait être soutenu par l’Empire comme il l’avait été par le roi Ludwig, mais il n’a pas réussi. Hans Sachs était donc alors son prophète. Et cela se passe et s’écoule dans un décor changeant où le manque de solennité de la scène (les tableaux encadrés, comme des peintures de la guilde, entre les groupes de Rembrandt et les poètes et artistes de Fantin‑Latour) est une façon de nuancer les propos de Sachs, toujours équilibré. Soit, Wagner était ce qu’il était, un grand artiste, un homme misérable parfois. Mais il ne pouvait pas savoir qu’un petit criminel de masse allait ensuite prendre son Wotan ou son Siegfried comme modèle, en n’étant qu’Alberich ou... Beckmesser. La mise en scène de Pelly n’est pas responsable de ce que l’Histoire a accumulé mais il ne se montre pas ignorant de tout cela. Et il réussit avec une production exemplaire où rien n’est nié, mais rien n’est déformé non plus, hormis seulement la « déformation grotesque » de Beckmesser : Hanslick, peut‑être ?


Pablo Heras‑Casado, avec un orchestre d’un niveau qui trahit un travail acharné, réussit encore une fois, mais beaucoup mieux cette fois‑ci, dans sa lutte wagnérienne. Lutte ? Jouer Wagner est une lutte. Comme tous les opéras, bien sûr, mais c’est encore plus difficile. Sa direction des Maîtres Chanteurs progresse depuis l’Ouverture, un peu trop sonore, jusqu’au concours de chant, pleinement réussi, mettant très bien en valeur, dans la mesure du possible, le moment des danses et – appelons‑les ainsi – grâces populaires. Ce crescendo en qualité est la marque de ses Maîtres Chanteurs du Teatro Real de Madrid.


Une de plus belles réussites de ce théâtre, encore une fois. En coproduction avec Brno et Copenhague.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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